Une certaine idée a lu “Nous étions seuls” de Gérard Araud.

Une Certaine Idée vous propose régulièrement des recensions. Nous avons lu “Nous étions seuls. Une histoire diplomatique de la France”, 1919-1939. Tallandier, 2023.

Les leçons d’une descente aux enfers

« Lorsque le danger vient, on est souvent seul. La France l’a durement payé. » Ce constat dressé par le président Jacques Chirac au moment où il décida de reprendre les essais nucléaires en 1995, Gérard Araud souligne tout ce qu’il doit à la tragédie de juin 1940, qui « pèse toujours sur notre politique intérieure et sur notre réputation à l’étranger ».

C’est en diplomate à la carrière brillante, en expert des relations internationales, mais aussi en descendant de ces Français qui ont vécu dans leur chair l’effondrement du pays, vingt ans à peine après la victoire de 1918 pour laquelle notre pays avait fait tant de sacrifices, que Gérard Araud revisite l’histoire diplomatique de la France entre 1919 et 1939 dans son dernier ouvrage, Nous étions seuls.

La France était seule dans les années 1920 pour faire appliquer, par la force ou la conciliation, ce traité de Versailles pourtant élaboré avec ses alliés anglo-saxons et dont l’auteur démontre qu’au-delà des mythes véhiculés, il était la seule paix possible dont beaucoup dépendrait, en réalité, des conditions de sa mise en œuvre.

La France était seule dans les années 1930 face à la stratégie brutale et audacieuse conduite par Hitler pour mettre définitivement à bas le prétendu diktat de Versailles et imposer l’hégémonie allemande sur l’Europe centrale et orientale. Si Churchill a sauvé l’Angleterre et le monde libre en 1940, sa geste héroïque a aussi permis de jeter un voile pudique sur les errements de la politique britannique de l’appeasement, menée jusqu’à l’absurde par Chamberlain à Munich, politique à la remorque de laquelle s’inscrivît largement la France.

La France n’a pas su, non plus, trancher le dilemme entre la « stratégie strictement défensive adoptée par l’état-major à partir de 1927-1928 », contestée par le colonel de Gaulle au mitan des années 1930, et une diplomatie soucieuse de maintenir l’ordre de Versailles, en soutenant ses alliés en Europe centrale et orientale. Notre pays devait le payer cher en mars 1936, quand Hitler réoccupa militairement la Rhénanie, véritable tournant de l’entre-deux-guerres.

Une politique étrangère, ce sont aussi des hommes, en l’occurrence Clemenceau, Poincaré, Briand, Herriot, Daladier ou Reynaud, « humains et donc faillibles », « intelligents et patriotes » mais confrontés à des choix cornéliens pour une France sortie exsangue de la Grande Guerre, et dont Gérard Araud excelle à dresser le portrait en quelques lignes. Parmi eux, il rend légitimement justice à Louis Barthou, qui essaya au quai d’Orsay de relancer une politique d’alliances pour faire pièce à l’Allemagne hitlérienne, avant d’être victime de l’attentat contre Alexandre 1er de Yougoslavie à Marseille, le 9 octobre 1934. Cette passionnante étude diplomatique ne doit pas apparaître comme un exercice purement théorique au moment où, comme le souligne l’auteur « la guerre revient en Europe » au sein d’un monde multipolaire régi, avant tout, par les rapports de force. La leçon de l’entre-deux-guerres, Gérard Araud le résume ainsi : « Il n’y a pas de politique étrangère sans un horizon de recours à la force. Le rapport entre les deux est paradoxal : en venir au second prouve que la première a échoué, mais celle-ci ne peut espérer réussir que si l’interlocuteur est convaincu que celui-là n’est pas exclu. » Dure, mais salutaire leçon !

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