
Ancien maire de Brétigny-sur-Orge (1984 – 2001) et secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur du premier gouvernement d’Alain Juppé (1995), entre autres responsabilités exercées au cours de sa longue carrière politique, Jean de Boishue est une figure historique du RPR.
Architecte de la revue Une Certaine Idée fondée en 1998, il nous a fait l’amitié de nous recevoir chez lui pour nous passer le flambeau des ambitions qu’il avait lui-même portées avec Philippe Séguin il y a vingt-cinq ans. Propos recueillis par Bartolomé Lenoir.
UCI (Une Certaine Idée) : Quelle philosophie a présidé au lancement d’Une Certaine Idée en 1998 ?
JdB (Jean de Boishue) : Il n’y avait pas de philosophie, il y avait un sentiment. Le sentiment de notre équipe, réunie autour de Philippe Séguin, était que tous les partis politiques de droite en Europe avaient des revues mais que ceux de France, à ce moment-là, et c’est toujours le cas, n’en avaient aucune. C’est à-dire aucun moyen d’expression, de faire connaître des positions, de rendre compte de colloques, de réflexions, de publications. Autour de Séguin, nous avions trois convictions : sortir des chemins battus, travailler et réfléchir, et être au fait de ce que pensaient nos adversaires. Nous étions un peu des « affreux jojos ». Et Philippe m’a donc dit : « Si tu râles, fais une revue. Je te soutiendrai. » C’est ainsi qu’Une Certaine Idée est née.
UCI : Quelles idées fondatrices vous ont guidé dans la création de cette revue ?
JdB : Nous avons commencé avec une première ambition : d’accepter des contributions, même si elles ne correspondaient pas à la doctrine du mouvement. Cela a fait du bruit et, jusqu’au bout, cette ligne éditoriale a été difficile à tenir. Pour nous un défi. Mon idée était de donner la parole à tout le monde, parfois mais pas systématiquement, et pas par provocation. La raison stratégique de ce choix c’est que, pour qu’une revue soit crédible, elle doit être libre. C’est le combat permanent. Je disais toujours : tout ce que je ne suis pas, tout ce que je ne pense pas, tout cela m’intéresse.
La deuxième ambition était de se consacrer essentiellement à la singularité française. Nous n’aimions pas tellement le mot nationalisme, ni le mot populisme, mais nous voulions que la singularité française soit mise en valeur dans tout ce qui est souveraineté, éducation, culture, politique extérieure, etc. Tout un registre qui pour nous est précieux.
Notre troisième ambition concernait tout le volet universitaire et littéraire : livres, publications, etc. C’était aussi notre cheval de bataille et il y avait beaucoup de recensions. Nous avons toujours considéré que l’enseignement supérieur était insuffisamment mis en valeur en France, que nos penseurs avaient abandonné l’Université et les élèves au profit des médias. Nous étions très attachés à ce que l’idée de la culture française soit d’abord contenue dans l’école, dans l’enseignement et dans la langue.
UCI : Diriez-vous qu’il s’agissait d’une revue gaulliste ?
JdB : Concernant le gaullisme, nous étions tous des gaullistes convaincus. Mais nous ne nous disions jamais gaullistes. J’ai été collaborateur pendant trente ans d’Olivier Guichard et un jour il m’a dit : « Je t’interdis de parler de gaullisme, parce que le gaullisme est mort avec de Gaulle. » Mais il ajouté : « L’antigaullisme existe toujours. » Dans la revue, les antigaullistes étaient nos ennemis.
UCI : Vous étiez donc gaullistes par opposition à l’antigaullisme ?
JdB : Bien sûr, en creux. Et qu’est-ce que l’antigaullisme ? Ce sont les politiques d’abandon.
UCI : Pensez-vous que la revue ait eu un impact sur les militants ?
JdB : Le prestige d’une revue comme Une Certaine Idée, le fait de se pencher sur des questions même un peu abstraites, a été très valorisant pour beaucoup de gens.
UCI : Quelle fonction y exerciez-vous en particulier ?
JdB : J’en étais le rédacteur en chef et j’écrivais. Mon rôle consistait à aller chercher les auteurs : c’est une vie très agréable. Je téléphonais à des gens, que je ne connaissais pas, et je leur disais : « Je m’appelle Boishue, je dirige une revue. » Et les gens acceptaient très très souvent.
UCI : Les liens entre votre revue et le RPR ont-ils été un frein pour le recrutement de vos auteurs ?
JdB : Je le disais tout de suite. Bien sûr, des gens refusaient. Pas souvent. Les auteurs étaient séduits par la qualité de la revue, et le fait de paraître dans des colonnes qui n’étaient pas les leurs les intéressait.
UCI : Que ce soit à la lecture de votre revue, ou à la lecture des mémoires de Philippe Séguin, on perçoit une ambiance, un côté sympathique : est-ce que, cette revue, c’était aussi un peu une bande de copains ?
JdB : Absolument. C’est la première fois que j’utilise le mot d’ailleurs mais je pense que le terme « affreux jojos » est un peu vrai. On s’aimait beaucoup, on se voyait beaucoup, on s’engueulait beaucoup.
Nous avions la passion de la politique. J’ai été élevé dans l’amour de la politique, comme une forme de vie extrêmement noble et, avec Philippe Séguin, on disait faire de la politique à main nue, c’est-à-dire ne pas jouer de la matraque mais se battre avec nos idées.