Devant l’intelligence artificielle, redoublons d’intelligence humaine !

La peur du progrès technique n’est pas une nouveauté : au temps de leurs premiers développements, l’électricité, le téléphone, la radio ou les trains ont pu générer bien des angoisses et des réticences.
Elle n’est pas davantage une tare inutile, la prudence étant fille de sagesse. Les craintes suscitées par l’intelligence artificielle doivent être écoutées et non accueillies avec sarcasme, car les conséquences de cette innovation touchent en bien des points aux fondements de la condition humaine et méritent un débat éthique aussi libre qu’ambitieux.


Ne nous interdisons pas de penser ! La France doit être en pointe de l’innovation technique mais aussi, en cohérence avec son histoire, en pointe de la discussion philosophique. Nous devons parvenir à un équilibre entre encadrement vigilant et liberté créatrice. L’Union européenne a raison de vouloir règlementer les usages de l’IA mais la seule passion des normes ne peut constituer à elle seule une politique. Je souhaite notamment que l’Europe se dote d’un projet communautaire de développement de l’intelligence artificielle. Nous devons naturellement assumer l’impératif de la règlementation mais nous ne devons pas nous en contenter : nous devons résolument aller plus loin.


Le bouleversement que nous connaissons depuis quelques mois est non seulement celui d’une accélération mais aussi celui d’un déploiement inédit qui met l’IA à la portée du plus grand nombre, avec ChatGPT ou Midjourney entre autres. Cette démocratisation mène à la soudaine invasion de nos quotidiens par ce nouvel outil et par les milles interrogations qui l’accompagnent.


Ne cédons pas au vertige de cette accélération en nous retirant de nous-même de la course qui s’engage. Dans un monde tel que le nôtre, renoncer ce serait se retirer de la marche du monde pour, en l’occurrence, laisser toute latitude à la Chine ou aux États-Unis de mener la danse du progrès humain. Nous devons d’autant plus demeurer dans la course que nous portons un ensemble de valeurs et de principes qui alimentent aujourd’hui nos craintes mais qui doivent demain nourrir nos réflexions pour que l’IA ne soit pas abandonnée à des mains moins consciencieuses que les nôtres.


La vigilance s’impose sur des questions essentielles telles que la protection des données ou des droits d’auteur, mais aussi – et surtout – sur la protection de l’intégrité et de la sincérité de nos processus démocratiques. Mais cette vigilance ne doit pas nous mener à brider nos recherches, elle doit les orienter : plutôt que de renoncer pour ne pas courir le risque d’affaiblir ces principes qui nous sont chers, nous devons consolider ces mêmes principes pour les rendre insubmersibles.


Le récent déploiement de l’IA peut notamment nous inviter à promouvoir l’usage de l’esprit critique et de la raison. Demain, des images, des vidéos ou des textes absolument mensongers pourraient être produits : aiguisons dès lors notre esprit pour ne plus être l’otage de la frénésie médiatique dans laquelle nous vivons.


La France et l’Europe ne peuvent pas se permettre de passer à côté de l’aventure technologique de l’intelligence artificielle, tant elle peut être pourvoyeuse de progrès extraordinaires dans des domaines aussi importants que celui de la santé. Avec des diagnostics plus rapides et automatisés, nous pourrons désengorger nos services d’urgence ou répondre en partie au problème des déserts médicaux. Il nous sera également possible de poser des diagnostics plus précocement et donc de mieux lutter contre les maladies dégénératives. L’intelligence artificielle nous permettrait également de lutter contre l’excessive bureaucratisation, art dont nous sommes passés maîtres avec des administrations pléthoriques, souvent aussi lentes que complexes. Les démarches les plus simples et les plus automatisables pourraient être prises en charge par l’IA et nous offrir de précieux gains de temps et d’efficacité.


L’État français – champion incontesté des formulaires administratifs – peut être un champ d’expérimentation exceptionnel de la simplification permise par l’intelligence artificielle. Face à la révolution de l’IA, ne reculons devant aucun défi. En assumant tout autant le défi philosophique que le défi technologique, en écoutant aussi bien les peurs que les enthousiasmes, nous pouvons embrasser ce progrès en pleine intelligence, renforçant ce que nous craignons de voir affaibli tout en devenant les meneurs d’une aventure que d’autres mèneront si nous n’en avons pas l’audace.

Eric Ciotti

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