“On est en plein communautarisme, et je n’ai plus d’espoir pour l’universalisme républicain.” Daniel Riolo.

Daniel Riolo est un journaliste et chroniqueur sportif. Son dernier ouvrage, Chaos football club, co-écrit avec le journaliste Abdelkrim Branine, revient sous forme d’enquête sur les nombreux scandales et affaires qui ont émaillé le football français ces dernières années.

Propos recueillis par Bartolomé Lenoir.

Une Certaine Idée : Est-ce qu’on assiste à une augmentation des violences physiques dans le football ?

Daniel Riolo : Il y a eu beaucoup de rivalités sportives, mais elles ne s’étaient jamais réglées à coup de règlement de comptes en bande organisée.

Il y a de la violence « basique », comme dans l’affaire Hamraoui-Diallo ou Pogba, où c’est le clan qui se retourne contre le chef ou contre la personne. Dans le cas de Paul Pogba, cela pourrait être résumé en une histoire de famille qui tourne mal. Dans le cas Hamraoui-Diallo, c’est une rivalité sportive.

L’autre forme de violence, c’est celle qu’on rencontre dans le football amateur.

Tous les week-ends nous avons des bagarres, des pressions sur les arbitres : de la sauvagerie au quotidien, qu’on retrouve partout dans la société française, qui n’est pas réglée, et encore moins dans le football. Le père qui veut que le fils soit titulaire et qui met une gifle à l’entraîneur ou au dirigeant : oui, c’est de plus en plus fréquent, et ça n’existait pas il y a trente ans.

Il y a aujourd’hui une forme de néolibéralisme dévoyé où les personnes pensent qu’ils vont se faire beaucoup d’argent avec leur enfant : ils pensent tous qu’ils ont Mbappé à la maison et que l’entraîneur va donc les priver de leur chance. L’entraineur ne doit servir que de marchepied pour la promotion de leur enfant. Alors si l’entraîneur ne fait pas jouer l’enfant titulaire, et que le père est persuadé qu’il est très fort, alors l’entraîneur devient coupable. Et on lui met un coup de pression.

UCI : Mais est-ce que le football, aujourd’hui, n’est pas aussi dans ce mouvement total de la société ? Est-ce que le football ne ressemble pas à la société telle qu’elle est aujourd’hui ?

DR : Absolument, le football a toujours été un reflet de la société.

Des enquêteurs m’ont même dit que, dans le banditisme de cités, il y a un certain nombre de gens qui se sont aperçus que le football était moins dangereux que le trafic de drogue. C’est donc sûr qu’ils vont venir, se dire qu’il y a de l’argent à faire sur les droits d’image d’un joueur, sur le contrat d’un tel ou d’un tel, sur tel coup de pression qu’on peut mettre sur tel club ou tel agent. Nous aurons évidemment de plus en plus d’affaires de ce type.

Ce que je veux dire, surtout, c’est que dans les quartiers, le football est vu comme l’ascenseur social numéro un. L’idée que l’Ile-de-France est la Silicon Valley du football mondial, puisqu’on est le premier exportateur de joueurs, est une idée très présente dans nos quartiers. Quand on fait miroiter cela, avec l’argent qu’on imagine se faire alors, il est évident que les gens vont se précipiter pour signer le premier contrat. Nous sommes dans une sorte d’appât du gain, dans un capitalisme totalement débridé, hors de contrôle.

UCI : Sur l’affaire des brassards LGBT, comment expliquez-vous ce phénomène ? Est-ce que cela aurait été possible il y a trente ans ?

DR : Non, cela n’aurait pas été possible il y a trente ans. Ceux qui ne veulent pas mettre ces brassards le font pour des motifs religieux. Il y a un entrisme religieux de plus en plus fort dans le football, c’est assez évident : un entrisme musulman majoritairement, mais aussi des extrémistes chrétiens. Une nouvelle tendance, complètement folle. Gomis est d’ailleurs le premier cette année à avoir dit publiquement qu’il ne voulait pas porter le maillot.

Toute la nouvelle jeunesse, notamment musulmane, estime que la religion est plus importante que les valeurs de la République. Et c’est problématique. Les sondages le montrent, et d’ailleurs ce problème-là ne choque que les personnes de ma génération, pas vraiment les jeunes, y compris ceux qui ont grandi dans le 16ème arrondissement de Paris : ils ne comprennent pas le scandale, car pour eux, quand on lutte contre les discriminations, on laisse la « liberté » aux gens de faire ce qu’ils veulent.

Et, ainsi, les valeurs républicaines au-dessus de tout, ça n’est plus du tout tendance. Moi-même, je suis complètement résigné. On est en plein communautarisme, et je n’ai plus d’espoir pour l’universalisme républicain.

UCI : Pensez-vous que nous basculons dans un système anglo-saxon ?

DR : Exactement. On ne peut pas avoir un pays qui a mélangé autant de cultures et s’étonner que notre société se soit communautarisée. C’est très illusoire. On a vendu un modèle français universaliste, mais en mélangeant autant de cultures et en contrôlant si peu l’immigration, il ne faut pas s’étonner qu’il ne fonctionne plu.

Il faut vivre avec, et trouver les meilleures solutions pour éviter que les gens se tapent dessus. Maintenant, en fait, la mission de la France, de l’État français et des gouvernements, cela va être d’éviter que ce communautarisme débouche sur des rivalités, et des foyers d’affrontements sur des points précis, comme on en a tout le temps. En outre, sociologiquement, nous ne sommes pas structurés de la même façon que l’Espagne ou que l’Italie. Pour résoudre nos problèmes, il faudra déjà commencer par ne plus nier la réalité.

UCI : Rien à voir, mais comment réagissez-vous à la victoire de Novak Djokovic à Roland-Garros ?

DR : Je n’apprécie pas l’homme, mais c’est un joueur hors du commun. C’est absolument fabuleux ce qu’il est parvenu à faire. À la limite, moi qui préférais les deux autres champions, Nadal, et Federer, celui que je peux regarder pour sa façon de jouer, sa science du jeu, c’est lui.

On a le sentiment qu’il a des gestes qui sont plus simples que les deux autres. Il a une forme de normalité dans son jeu qui fait qu’on peut s’identifier à lui, alors qu’il est juste hors du commun. Ce qu’il fait, je ne sais pas si quelqu’un d’autre peut le refaire. C’est une sorte de machine parfaite. Il sait tout faire, il fait tout bien quand il faut, il est mentalement hyper fort, son corps est parfait. C’est une synthèse de tout. Humainement, je n’aime pas du tout le personnage, je n’aime pas ce qu’il est, je n’aime pas ce qu’il représente, ce qu’il défend, ses valeurs. Mais assurément, c’est le plus grand des joueurs de tennis.

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