“Les deux nuits qui viennent s’annoncent comme des moments de bascule.” Thibault de Montbrial.

Avocat et président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure, Thibault de Montbrial réagit aux émeutes urbaines après le décès de Nahel.

Propos recueillis par Bartolomé Lenoir.

Une Certaine Idée : Le procureur de la République de Nanterre a déclaré que les conditions n’étaient a priori pas requises pour faire usage d’arme à feu. Quel pensez-vous de cette déclaration ?

Thibault de Montbrial : Je n’ai pas d’avis personnel, comme toute personne qui n’a pas accès au dossier. Ce qu’il faut souligner c’est que la Justice a parfaitement fonctionné, avec l’ouverture immédiate de deux enquêtes, l’une sur le conducteur et l’autre sur le policier. Pour le reste, laissons l’enquête se dérouler.

UCI : Pouvez-vous nous rappeler les règles qui s’appliquent à l’usage des armes à feu ?

TDM : La règle, c’est que le policier ne peut utiliser son arme sur un contrôle routier lorsqu’un conducteur fuit que si le policier a des raisons de penser que, dans sa fuite, le conducteur peut être dangereux. Cette appréciation repose uniquement sur l’analyse du comportement du conducteur. C’est sur la base de ce comportement que les policiers dégainent parfois leurs armes lors d’un contrôle. C’est pourquoi l’enquête devra établir ce qu’il s’est passé durant les minutes qui ont précédé le tir, et établir si le conducteur avait un comportement qui pouvait déterminer le policier à le penser dangereux et donc à le mettre en joue puis à tirer.

UCI : De violentes émeutes se sont déclenchées à la suite de cette affaire. Quel regard portez-vous sur celles-ci ?

TDM : Nous assistons à ce que la majorité des acteurs de la sécurité et de la politique anticipaient depuis des années, c’est-à-dire un événement générant une émotion majeure, capable de transcender tous les comportements raisonnables traditionnels. Les premiers qui ont l’intérêt de maintenir l’ordre en banlieue ce sont les trafiquants, et ce sont les premiers à chercher à calmer les jeunes quand il y a des montées de tensions. Tout ces comportements raisonnables ont volé en éclat.

Ce matin, les plus anciens policiers ont évoqué à leurs retours du terrain une situation plus grave qu’en 2005. A cette époque, les comportement hyperviolents ne débordaient pas les quartiers. Or, cette nuit, le nombre de points d’impacts est inédit en France, avec des attaques manifestement coordonnées, parfois après 3h du matin, quand normalement les choses se calment, parfois sur les trajets des forces de l’ordre, parfois contre leurs casernes ou commissariats. Il y a une vitesse de propagation, et une territorialité, inédites et sans doute coordonné. Il existe enfin une dimension identitaire, avec des attaques aux cris de « Allah Akbar », qui intensifie encore la séquence. La seule différence pour l’instant avec 2005, c’est l’absence d’usage d’armes à feu par les émeutiers. Il n’est pas certain que ça dure.

Des dizaines de policiers ont déjà été blessés depuis deux nuits. On rappellera d’ailleurs que, depuis 2017, 25% des violences volontaires sont commises sur des personnes dépositaires de l’autorité.

UCI : Quelle est la responsabilité de l’extrême-gauche dans la violence de ces émeutes ?

TDM :  Une partie des acteurs institutionnels souffle sur les braises. L’extrême-gauche est depuis plusieurs années sur une logique anti institutionnelle qui vise à faire tomber le régime par la violence, et incite régulièrement à cette violence par des propos irresponsables. Faisant soigneusement le tri selon la provenance de ces actes bien sûr.

Mais l’extrême-gauche n’est pas la seule en cause. C’est la première fois que j’entends les avocats d’une personne impliquée comme victime dans un tir policier ne pas appeler au calme. C’est la première fois que j’entends une famille appeler ouvertement à la révolte. Tout concours à créer un cumul explosif.

UCI : Ces émeutes peuvent-elles exercer une pression sur la décision judiciaire ?

TDM : Les juges ne vivent pas dans une tour d’ivoire mais ils essaient de faire abstraction des éléments exogènes. Cependant, c’est très difficile de faire abstraction d’une telle pression, et il faut rappeler que la marche blanche se déroule sous les fenêtres du tribunal.

La pression vient également du pouvoir politique. Hier, Emmanuel Macron ne s’est pas contenté de dire son émotion et appeler au calme. Il a employé le terme d’ « inexcusable ». Avec ce mot, il a pris une position juridique, alors qu’il est le garant de la paix publique et de l’indépendance de la justice. Partager l’émotion provoquée par ce drame est légitime. Donner une indication sur une affaire judiciaire, alors qu’il n’a pas qualité à le faire, ne l’est pas : c’est une forme de pression sur la justice.

Pire encore, cette pression ne peut faire que des mécontents. Si ce soir les émeutiers ne sont pas satisfaits de la décision judiciaire, ils diront qu’elle n’est pas assez sévère en s’appuyant sur les propos du Président. Si les policiers la trouvent excessive, ils diront que la justice a été rendue sous pression.

UCI : À quoi pouvons-nous nous attendre pour les prochains jours ?

TDM : Les deux nuits qui viennent s’annoncent comme des moments de bascule. On ignore l’impact de la décision judiciaire à venir. Mais quelle qu’elle soit, compte tenu de la hausse d’intensité entre avant-hier et hier, il y a toutes les raisons d’être inquiets pour ce soir, et les autorités s’y préparent.

Je pense que nous sommes à un cheveu de l’utilisation d’armes à feu par les émeutiers. Et que nous pourrons difficilement éviter l’instauration de l’état d’urgence dans les jours qui viennent.

En tout cas, il faudra plus que jamais soutenir nos forces de l’ordre, en particulier lorsqu’elles seront contraintes à se défendre. Elles constituent avec courage le dernier rempart avant un possible chaos.

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