Laurent Wauquiez nous parle du Puy-en-Velay.

Cet été, Une Certaine Idée a choisi de parler de la France à travers la diversité de ses territoires, portés par l’engagement de leurs élus. Pour ouvrir cette série estivale, Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes et ancien maire du Puy-en-Velay nous parle de sa ville et de la Haute-Loire, échos de toute la France.

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L’inégalable Simone Weil, dans L’Enracinement, nous rappelle que le premier « besoin de l’âme » est de s’inscrire dans une histoire, dans une continuité historique. Ma conviction est que notre pays n’est jamais aussi grand que lorsqu’il est pleinement lui-même. Et c’est en Haute-Loire, au Puy-en-Velay, que mon amour de la France a pris une dimension charnelle.

Quand vous entrez au Puy-en-Velay, vous entrez dans une ville chargée de l’histoire de notre nation et de notre civilisation.

Enfant, lorsque ma mère m’emmenait tous les étés au Mont Mézenc, je m’y grisais de la beauté des paysages, au pied des sources de la Loire, à la rencontre entre l’Ardèche et la Haute-Loire. J’ai acquis la conviction que nous avons à cultiver et transmettre l’amour de notre pays et notre héritage commun, légué par des siècles d’histoire. Dans chaque région, dans chaque département et dans chaque commune de France, nous découvrons les pages singulières qui composent notre récit national. Quand vous entrez au Puy-en-Velay, vous entrez dans une ville chargée de l’histoire de notre nation et de notre civilisation. Point de départ du pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle, le Puy fut aussi un haut lieu du culte marial pour l’Europe entière. Véritable « Lourdes du Moyen-Âge », selon l’expression de l’historien Pierre-Roger Gaussin, le Puy-en-Velay est surplombé par la cathédrale Notre-Dame, chef d’œuvre de l’art roman. Elle est de ces édifices, en roches volcaniques et granitiques, qui constituent le manteau dont s’est parée la France à partir du XIe siècle.

C’est au Puy-en-Velay que s’est incarné mon amour de la France et de son histoire. Et c’est au Puy-en-Velay que s’est forgée ma détermination à l’action. J’ai eu la chance d’étudier dans de grandes écoles et l’honneur d’être, jeune, appelé à occuper des fonctions au sein du gouvernement. Ces années au cœur de la classe dirigeante m’ont appris à en comprendre les ressorts et à en mesurer les limites. Comme tous les élus locaux, j’ai surtout eu la chance d’être à l’école du réel. C’est au contact des Ponots que j’ai reçu ma véritable formation. C’est ici que mes enfants sont nés et ont grandi. C’est ici que, dans les moments de joie comme dans les épreuves, mes proches m’ont rappelé l’essentiel. Et c’est ici que se sont affermies mes convictions.

“L’illusion terrible selon laquelle les métropoles pouvaient se passer de la France des petites communes touche enfin à sa fin”

C’est au Puy-en-Velay que j’ai mesuré à quel point « les coutures de notre pays craquent », pour reprendre la belle expression de la romancière cantaloue Marie-Hélène Lafon. Le rayonnement de Paris bénéficie à la France entière. Mais la concentration des richesses et des emplois dans les grandes métropoles, accélérée par une mondialisation dont le mythe du « village global » n’a eu de réalité que pour un archipel de mégalopoles, n’est pas tenable. L’illusion terrible selon laquelle les métropoles pouvaient se passer de la France des petites communes touche enfin à sa fin. Car nous redécouvrons cette évidence, tant à l’occasion de la crise des gilets jaunes que de la crise sanitaire ou du retour de la guerre en Europe : nous donnerons un avenir à la France en comptant sur nos propres forces, sur toutes nos forces.

Rien de tel que la fonction d’élu local pour forger les caractères et cimenter les convictions. Comme maire, vous n’appréhendez pas les réalités françaises par le seul filtre de notes de synthèse ou de tableaux de statistiques ; vous les vivez. Elles vous éclatent au visage et vous ne pouvez plus les taire. Comme député de Haute-Loire, maire du Puy-en-Velay, président de région, j’ai mesuré le déclassement des classes moyennes et l’aspiration à vivre de son travail, les ravages d’une désindustrialisation inédite en Europe et la possibilité de l’enrayer, l’angoisse dans laquelle vivent nombre de nos compatriotes pour leurs enfants et pour une nation dont l’identité et l’avenir semblent vaciller. Et j’ai refusé de me résigner.

“Dans le sillon de Georges Pompidou, qui a toujours su cultiver sa hauteur de vues en gardant les pieds sur terre, je suis convaincu que notre nation est grande lorsqu’elle s’appuie sur ses racines et compte sur toutes ses forces”

Le pessimisme de la lucidité appelle l’optimisme de la volonté. J’ai en tête un souvenir parmi mille. Lorsque les couturières de Lejaby, à Yssingeaux, ont été sur le point de perdre leur emploi, nous nous sommes battus sans relâche. Nous avons trouvé un repreneur et montré que la France pouvait retrouver un avenir industriel, à condition de s’en donner les moyens. Notre région concentre désormais près de la moitié des projets de relocalisation en France. Avec la même détermination, nous avons, au Puy-en-Velay comme à la région, redressé nos finances publiques avec un principe simple : ni fiscalité ni dette supplémentaire pour nos enfants. C’est en gérant au mieux l’argent du contribuable qu’on retrouve les marges de manœuvre pour investir dans la sécurité, la santé, les infrastructures.

Le grand combat pour libérer les énergies qui n’attendent qu’à s’exprimer est devant nous, en faisant sauter cette chape de plomb de normes, ce centralisme bureaucratique, cette fiscalité étouffante qui empêchent ou ralentissent tous les projets. Dans le sillon de Georges Pompidou, qui a toujours su cultiver sa hauteur de vues en gardant les pieds sur terre, je suis convaincu que notre nation est grande lorsqu’elle s’appuie sur ses racines et compte sur toutes ses forces.

Quand vous traversez un département comme la Haute-Loire, avec ses paysages magnifiques, son tissu industriel familial, son agriculture d’exception, son climat rude et authentique, ses habitants au tempérament fort et franc, vous comprenez que notre ruralité est vivante et qu’elle a un formidable message à adresser au pays entier. Oui, comme le souligne si justement l’essayiste David Goodhart, on peut être attaché à sa commune et à son terroir, être de « quelque part », tout en contribuant au rayonnement et au dynamisme de la nation entière. L’enracinement n’a rien d’une passion triste ; il est une condition pour se projeter vers l’avenir. Les ressorts du sursaut se trouvent dans la vitalité de nos communes, là où « réside la force des peuples libres » selon la formule définitive d’Alexis de Tocqueville.

Laurent Wauquiez

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