
Cet été, Une Certaine Idée a choisi de parler de la France à travers la diversité de ses territoires, portés par l’engagement de leurs élus. Nous poursuivons cette série avec Nicolas Florian, ancien maire de Bordeaux, qui nous parle de son attachement à sa ville.
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Bordeaux. La seule évocation de ce nom éveille un imaginaire puissant. Depuis plusieurs années, la ville connait, grâce à une ambitieuse politique de renouvellement urbain une attractivité économique et démographique sans précédent qui l’ont placée, jusqu’en 2020 à la tête des classements des villes où il fait bon vivre à tel point qu’elle est parfois surnommée « le petit Paris » ou le « XXIème arrondissement de Paris ».
Froissant l’esprit chauvin qui anime souvent les Gascons que nous sommes, ces assertions sont, en outre, démenties par l’Histoire : c’est bien le passage du baron Haussmann comme préfet d’une Bordeaux rénovée au siècle précédent par l’Intendant Tourny qui lui inspirera le chantier pharaonique de rénovation de notre capitale. C’est encore au Grand-Théâtre de Bordeaux, édifié par Victor Louis en 1780 que Charles Garnier viendra chercher l’inspiration pour bâtir l’Opéra de Paris sous le Second Empire.
Bordeaux n’est pas seulement un laboratoire architectural. Elle a contribué, depuis plusieurs siècles, à faire rayonner dans le monde et à lui insuffler un idéal de tempérance si indissociable de notre esprit girondin.
Bordeaux la rayonnante
La géographie donne à Bordeaux les moyens de faire rayonner la France depuis la façade Atlantique et par-delà les mers. La Gironde, plus grand estuaire d’Europe, installe Bordeaux comme l’une des deux portes océanes depuis lesquelles la France a su se projeter au-delà de ses frontières, notamment vers la conquête du Nouveau Monde. Bien sûr, le triste passé négrier de notre port – qui a contribué largement à la fortune de la ville sous l’Ancien Régime – ne doit pas être occulté ; Bordeaux a su, très tôt, affronter cette mémoire difficile et toujours vivante, avec courage, lucidité et équilibre mais sans aucun esprit de repentance. Aujourd’hui, la Gironde constitue toujours un formidable atout pour l’industrie européenne puisque l’on y transportait, encore récemment, des gros gabarits destinés à la construction aéronautique, l’une des plus brillantes filières de l’agglomération bordelaise.
Vers le Sud, Bordeaux permet un lien solide entre la France et l’Espagne : c’est dans la cathédrale Saint-André que fut célébré le mariage entre Louis XIII et Anne d’Autriche, arrière-petite-fille de Charles Quint, afin de d’amorcer le rapprochement politique de nos deux pays. Demain, ce lien doit se consolider encore davantage avec la ligne à grande vitesse (LGV) vers Dax, le Pays Basque puis, à terme, Madrid.
Enfin, Bordeaux doit son rayonnement à son vin, devenu synonyme de prestige et d’élégance dans le monde entier. Margaux, Saint-Emilion, Pauillac, Saint-Estèphe, Pomerol, Saint-Julien… Plus de cinquante appellations emportent avec elles un imaginaire Français fait de vignobles et de hameaux en pierres blondes, exportant un morceau de France sur les tables raffinées du monde entier. Un climat généreux associé à des siècles de labeur et de savoir-faire ont fait du nom de Bordeaux le meilleur ambassadeur de notre pays.
Bordeaux la tempérée
Depuis au moins cinq siècles, notre ville répugne aux excès qui caractérisent l’esprit public de notre temps ; elle est, au contraire, la capitale d’une terre de « républicains modérés, mais non pas modérément républicains » selon le mot de Charles Jonnart (1899) et elle apporte à la France une certaine idée de tempérance politique accompagnée d’une exigence de décentralisation.
Il est certain que cet esprit girondin doit beaucoup à la personnalité du plus illustre de mes prédécesseurs aux fonctions de Maire de Bordeaux, Michel de Montaigne, appelé à diriger la Ville alors que les guerres de religion déchiraient la France et dont les Essais constituent une œuvre incontournable du patrimoine littéraire Français.
Le même idéal de tempérance préside un siècle et demi plus tard à la rédaction de l’Esprit des lois par Montesquieu, baron de la Brède : la séparation des pouvoirs qu’il y promeut fait souffler sur l’Europe un vent de libéralisme et constitue désormais le principe de tout gouvernement démocratique.
Lors de la Révolution, c’est encore cette exigence de tempérance et la volonté décentralisatrice des députés Girondins qui conduit les amis de Robespierre à les faire guillotiner, laissant le champ libre à l’hubris meurtrier de la Terreur. Il faudra patienter jusqu’à la fin du XXème siècle pour que notre République lance les premières lois de décentralisation. Chacun sait aujourd’hui combien les élus locaux sont nécessaires au bon fonctionnement de notre démocratie.
Bordeaux la patriote
Si Bordeaux a pu tourner le dos à la France au profit de la couronne d’Angleterre trois siècles durant, la ville est, depuis la fin de la Guerre de Cent-Ans lors de la bataille de Castillon – à quelques kilomètres de ses remparts – l’une des plus fidèles servantes de la France.
N’est-ce pas Bordeaux qui fut, par trois fois en 1870, 1914, et 1940 et alors que la France traversait les plus grands périls de son Histoire, une capitale de substitution pour notre pays ? C’est d’ailleurs de Bordeaux que le Général de Gaulle quitte le sol national avant la capitulation de Juin 1940 et s’envole vers Londres pour lancer l’épopée glorieuse de la Résistance.
A deux reprises, Bordeaux offre à la France deux de ses maires comme Premiers Ministres. Jacques Chaban-Delmas et Alain Juppé, tous deux Maires de Bordeaux, sont des figures importantes pour l’Histoire de la famille politique des Gaullistes, animés autant l’un que l’autre par le dévouement à la France et une même exigence de tempérance, encore.
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Lorsque je me promène parmi les façades de pierre de Bordeaux ou sur les quais de la Garonne, comment ne pas reconnaître le génie artistique français, la cohabitation d’une tradition rassurante avec une avant-garde résolument tournée vers le monde de demain ou la vitalité d’une économie de progrès, qui n’élude en rien la question sociale ? Comment ne pas voir, sur les terrasses nombreuses, le témoignage d’une convivialité et d’une bienveillance si chères à notre région ? Comment ne pas mesurer, que cette ville est entourée par une immense diversité des terroirs et des paysages ?
Au fond, Bordeaux est si passionnément Française.
Nicolas Florian