
Cet été, Une Certaine Idée a choisi de parler de la France à travers la diversité de ses territoires, portés par l’engagement de leurs élus. Bruno Retailleau, sénateur de la Vendée, Président du groupe Les Républicains au Sénat et conseiller régional des Pays de la Loire nous évoque le lien qui l’unit à sa terre vendéenne : une terre de contrastes entre bocage et océan.
Sur la carte de France, certains lieux sont comme des portes dérobées vers une dimension où les siècles se répondent, au point que parfois, passé et présent semblent se confondre, tels ces « paysages-histoire » évoqués par Julien Gracq. C’est le cas, je le crois, de la Vendée, cette terre de « géants » qu’évoquait avec admiration Napoléon et qui aujourd’hui encore, n’en finit pas d’étonner, de fasciner et même d’inspirer.
Inspirer, par son dynamisme économique bien sûr, mais par son rayonnement culturel également, ou ses grands évènements qui comme le Vendée Globe, fait flotter tous les quatre ans le double cœur vendéen sur les océans du globe. Plus qu’une image, un message : car rien n’est plus étranger aux Vendéens que cette idée absurde selon laquelle l’identité serait un obstacle à la modernité. À ce mensonge, la Vendée a opposé le démenti de ses réussites, forgées dans le sentiment d’appartenance à une terre dont toutes les forces vives, qu’elles soient économiques, associatives, communales, sont fières de porter les couleurs. C’est en Vendée que j’ai fait l’expérience concrète de cette vérité : l’identité est un moteur de développement, une force extraordinaire pour fédérer et pour projeter, car ceux qui voient loin ont en commun d’avoir une mémoire longue.
Une terre vendéenne qui, pourtant, n’était pas prédestinée aux succès. Ni par la géographie, ni par l’histoire. Car si la première n’a pas offert à la Vendée la chance de disposer de grands centres urbains ou de ressources naturelles, la seconde lui a infligé une blessure profonde : les massacres de masse perpétrés en Vendée sous la Révolution française. Massacres longtemps passés sous silence et encore niés par ceux qui, à l’extrême gauche notamment, célèbrent Robespierre et à travers lui, les bourreaux de la Vendée, artisans de la Terreur, préfigurateurs des violences totalitaires, comme l’avait souligné Alexandre Soljenitsyne lors de sa venue en Vendée, en 1993. Victime de l’idéologie puis du déni, la Vendée a été « laissée seule avec son malheur », pour reprendre les mots du grand historien François Furet. Elle aurait pu sortir de l’histoire, ou bien gratter ses plaies en gémissant, réclamant sa part de repentance à travers un discours victimaire. Il n’en a rien été.
“[…] l’histoire a imprimé dans le caractère vendéen cette nécessité de ne pas tout attendre des autres ; elle a forgé, chez nous, cette conviction que le travail et l’audace valent toujours mieux que la subvention automatique ou l’assistanat systématique.”
Car les Vendéens ont tiré de cette expérience dramatique une leçon en forme d’exigence : ne compter que sur ses propres forces. C’est la cause profonde, souvent ignorée, à l’image du drame auquel elle renvoie, du dynamisme vendéen : l’histoire a imprimé dans le caractère vendéen cette nécessité de ne pas tout attendre des autres ; elle a forgé, chez nous, cette conviction que le travail et l’audace valent toujours mieux que la subvention automatique ou l’assistanat systématique. Conviction qui est aussi la mienne. Car ce que je crois porte la marque indélébile de ce que je suis : un Vendéen, un enfant du bocage, vivant toujours là où il est né, dans ma petite commune de Saint Malô-du-Bois, dont mon père était Maire, tout comme mon grand-père, au cœur d’un canton rural que j’ai représenté pendant 28 ans, participant aux côtés d’élus comme Philippe de Villiers, et bien d’autres, à cette formidable aventure humaine qu’a été la réaffirmation de la Vendée, sur le plan économique, culturel, social aussi. Car sur ce territoire d’équilibre, maillé d’entreprises familiales, imprégné, aussi, par le catholicisme social, les relations entre employés et employeurs ont toujours été plus apaisées qu’ailleurs. Je me souviens qu’en 1999, certains médias nationaux s’étaient étonnés que dans l’entreprise vendéenne Gautier Meubles, les salariés s’étaient mis en grève pour soutenir leur patron, Dominique Soulard, alors menacé d’éviction par la maison mère de la société. Tout un symbole !
Cet équilibre social ne doit rien au hasard. D’abord parce qu’en Vendée, salariés et dirigeants ont souvent usé leurs fonds de culottes sur les mêmes bancs d’écoles ! Ou les mêmes terrains de sport. Mais aussi parce que l’esprit du capitalisme vendéen, ce n’est pas la prédation mais la production, ce n’est pas le chacun pour soi mais le collectif. Pour nous, Vendéens, l’économie est d’abord une culture. Et celle-ci vit dans nos communes, à travers nos multiples associations. Lorsque j’étais étudiant, j’avais analysé la carte économique et la carte associative de la Vendée : les deux se superposaient parfaitement ! De ce point de vue, notre département apporte la preuve concrète de ce qu’avançait Tocqueville sur le lien entre la vitalité associative et le progrès dans la société. Là encore, la Vendée exprime une vérité sociale à méditer dans notre pays sur-étatisé : aux dérives de l’Etat providence, je préfère les ressources offertes par la « société-providence ». Car elles ne sont pas seulement matérielles, mais humaines également : le degré d’humanité d’une nation ne peut se mesurer exclusivement à l’aune des solidarités verticales, étatiques et mécaniques ; il se juge aussi au regard des solidarités horizontales, librement choisies, c’est-à-dire à la capacité de ses membres à se donner, dans la gratuité. Oui, les Vendéens m’ont également enseigné la force du don.
“Tel est aussi, pour moi, le message de la Vendée : un appel à la permanence nationale, à la conservation de cette continuité française, par-delà les héritages politiques et les clivages partisans.”
Mais si, de mes premiers pas au Puy du Fou, comme cavalier, à mon élection à la présidence du Conseil général ou au Sénat, la Vendée dessine la carte de mon histoire personnelle, elle exprime aussi une histoire française. À l’image de ces deux grandes figures vendéennes, George Clemenceau, le vainqueur de la Grande Guerre, et Jean de Lattre, qui reçut, au nom de la France et aux côtés des Alliés, la capitulation allemande en 1945. Deux hommes que tout séparait : l’un croyait au ciel quand l’autre n’y croyait pas ; l’un, Jean de Lattre, était issue de la tradition « blanche » alors que l’autre, Georges Clémenceau, s’inscrivait dans la tradition « bleue », viscéralement républicaine. Et pourtant, tout deux virent le jour dans le même village, à Mouilleron-en-Pareds, et surent chacun, aux heures graves, mettre le service de la France au-dessus de tout. Il y a, dans ce double héritage vendéen, comme un écho des mots célèbres de Marc Bloch : « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération. » Tel est aussi, pour moi, le message de la Vendée : un appel à la permanence nationale, à la conservation de cette continuité française, par-delà les héritages politiques et les clivages partisans. Et pour nous, à droite, qui croyons à la suite du Général de Gaulle que « la France vient du fond des âges », cet appel exige une réponse à la hauteur des immenses défis que la nation française, aux prises avec les forces de la division et de la déconstruction, doit affronter pour conserver son être collectif.
Bruno Retailleau
Sénateur de Vendée et Président du groupe LR au Sénat
Conseiller régional des Pays de la Loire