
Gérard Bedarida est le président d’honneur depuis 2023 de l’Association Nationale des Chasseurs de Grand Gibier, fondée en 1950, dont il fut président exécutif entre 2013 et 2023. L’ANCCG souhaite promouvoir une gestion raisonnée des populations de grand gibier et participe aux décisions nationales concernant la chasse et la forêt.
Propos recueillis par Alexis Weber.
Une Certaine Idée : La fin du mois d’août marque la réouverture de la chasse et ce tout au long du mois de septembre. Qu’est-ce que la chasse représente pour vous ? Plus qu’une passion, est-ce un état d’esprit ?
Gérard Bedarida : La chasse touche le rapport qu’entretient l’Homme à la nature. Ce qui est recherché dans la chasse, c’est tirer parti de la nature d’une façon raisonnable. L’Homme ne peut pas vivre sans la nature et ne peut pas vivre sans l’utiliser. En revanche, il a un devoir, c’est de l’utiliser intelligemment en évitant tout gâchis. C’est évidemment en opposition avec ceux qui pensent qu’il faut mettre la nature sous cloche et qu’il faut la sanctuariser.
UCI : Vous êtes à la tête de l’Association Nationale des Chasseurs de Grand Gibier. Qu’en est-il actuellement de la régulation des populations de grand gibier en France ? Auriez-vous des données précises à ce sujet ?
GB : La régulation concerne avant tout les sangliers. L’an passé, ce sont 800 000 sangliers qui ont été prélevés en France, un nombre conséquent. C’est une population toujours en croissance. Sur l’ensemble des espèces sauvages de grand gibier (cerf, chevreuil, mouflon, etc.), on dépasse légèrement les 1 500 000 pièces prélevées, soit une augmentation importante de plus de 50 % sur 20 ans. La notion de régulation se porte dès lors essentiellement sur le sanglier, et cette dernière est une réelle nécessité.
UCI : Les dégâts sur les parcelles agricoles restent-ils importants ? Plus largement, en quoi cette régulation est-elle essentielle pour tout un écosystème et pour les agriculteurs en premier lieu ?
GB : Tout à fait. C’est d’abord un problème économique du fait des dégâts causés sur les parcelles agricoles. Ensuite, on est obligé de réguler les espèces sauvages herbivores, c’est-à-dire principalement le chevreuil et le cerf, et plus largement pour assurer le renouvellement correct de la forêt.
“Vouloir interdire la chasse au nom je dirais d’une forme de monopole de la pensée sur tout le monde, je n’en vois pas l’intérêt et encore moins la légitimité.”
UCI : Comment peut-on vivre de sa passion avec les autres utilisateurs de la nature ? Comment analysez-vous les débats de plus en plus prégnants dans la société, d’une volonté, comme vous dites de « mise sous cloche » de la nature, ou d’écologistes poussant de plus en plus à une interdiction de la chasse le dimanche ? Comment vous positionnez-vous par rapport à ça ?
GB : Jusqu’à nouvel ordre, la chasse est une activité légale et elle est reconnue par la société comme utile. Maintenant, il y a quelques personnes qui y sont opposées ; je comprends tout à fait qu’on y soit opposé sur le plan moral, qu’on réprouve le fait de tuer des animaux, c’est tout à fait acceptable et entendable.
Néanmoins, vouloir interdire la chasse au nom je dirais d’une forme de monopole de la pensée sur tout le monde, je n’en vois pas l’intérêt et encore moins la légitimité. De fait, concilier la chasse et la nature, ça n’est tout de même pas très compliqué. En moyenne, un territoire de chasse, une parcelle de forêt sont occupés par les chasseurs 4 ou 5 fois dans l’année donc sur 365 jours, il en reste 360. Ainsi, si on veut vraiment s’en donner la peine, la cohabitation est parfaitement possible.
De plus, ce qui est mon cas, mon territoire est traversé par des chemins de grande randonnée et la vigilance est de mise en permanence, y compris quand on chasse ; on fait extrêmement attention. Dans tous les cas, l’organisation est faite de telle manière qu’il n’y a aucun risque puisqu’il n’y a aucun tir en direction de ces chemins et autres sentiers de randonnée prisés des promeneurs.
UCI : Est-ce que vous notez, et notamment depuis la crise du Covid-19, une recrudescence de « néo-ruraux » venant s’installer à la campagne et découvrant la chasse ? Aussi, constatez-vous sur le terrain une augmentation de l’octroi de permis de chasse ?
GB : Qu’il y ait des néo-ruraux, et c’est parfois là-encore un cliché, ne supportant pas le chant du coq chez le voisin ou des choses comme ça, c’est possible. Il y a aussi des néo-ruraux qui se fondent dans le tissu rural et qui se mettent également à chasser. Je n’ai aucune statistique en la matière, tous les profils existent.
Ce qui est sûr, c’est qu’on voit bien que certains de ces néo-ruraux voudraient paradoxalement retrouver tous les avantages de la ville à la campagne : avoir de nombreux services, des commerces, un cinéma à proximité, etc. Or la vie rurale est organisée autour d’autres centres d’intérêts.
“Nous, chasseurs, sommes très sensibles à la préservation de la nature et sa conservation.”
UCI : Comment percevez-vous cette mainmise dans le débat politique d’une contestation de la pratique même de la chasse par des mouvements écologistes ? Ne vivez-vous pas un effet amplificateur qu’est la médiatisation ? Êtes-vous quelque part la nouvelle cible à abattre ? Aussi, pourriez-vous nous en dire davantage quant à la formation des chasseurs ?
GB : C’est effectivement à cause de cette médiatisation à outrance que l’on a l’impression d’être fortement ciblé.
Pour ce qui est de la formation des chasseurs, elle s’est considérablement améliorée. Ces derniers ont fourni des efforts notables. Cela fait déjà une vingtaine d’années qu’existe le permis de chasser, soit un examen au départ de la formation. Et par la suite, les fédérations ont développé des tas de formations complémentaires relatives à la sécurité.
De même, au niveau de l’Association Nationale de Grand Gibier, nous avons créé dès 1991 un « Brevet Grand Gibier » pour favoriser la formation et la compétence des chasseurs et formant énormément de personnes. Ainsi, nous sommes particulièrement investis sur ces questions de sécurité et ce depuis longtemps. D’ailleurs, le nombre d’accidents est en diminution constante depuis 20 ans.
La critique de la chasse est un sujet facile pour certains partis politiques : cela crée du consensus interne, rassure et renforce dans ses convictions un électorat bien particulier. En effet, on n’a jamais autant parlé de la chasse qu’au cours de ces derniers mois.
En outre, on voit bien malheureusement aussi que de la part de la presse, il y a là une forme de marronnier en relevant tous les accidents de chasse ou les incidents. Pourtant, les accidents restent rarissimes, aussi dramatiques soient-ils : en tout et pour tout, il y a eu uniquement 6 morts – certes de trop bien évidemment et cela reste toujours un drame – et de l’ordre de 78 accidents (sur la saison 2022-2023). Si vous prenez la saison de chasse, il y a 6 mois de chasse, soit 24 semaines et vous pouvez relever tous les week-end 3 accidents : c’est relativement facile. Si on devait relever à chaque fois tous les accidents de la route ; les noyades ; les alpinistes emportés par des avalanches ; etc., toutes les colonnes des journaux en seraient remplies.
Nous, chasseurs, sommes très sensibles à la préservation de la nature et sa conservation. Si la chasse, en tout cas du grand gibier, s’est maintenue, c’est parce qu’on a fait les efforts pour maintenir ou restaurer des populations d’animaux sauvages. À titre d’exemple, si le loup revient en France, c’est bien parce que d’abord il y a du grand gibier, sinon il ne serait jamais revenu.
On constate un dévoiement de cette belle cause qu’est l’écologie et un accaparement par des gens prônant la décroissance. Nous sommes favorables à une écologie du progrès, de la croissance et nous, chasseurs, participons à cela au cœur de notre environnement, de notre milieu. C’est aussi vrai pour les agriculteurs, pour les forestiers : il faut parvenir à concilier l’activité économique avec la préservation de la nature. C’est tout l’enjeu pour le futur.