
Florence Bergeaud-Blackler est Docteur en anthropologie, chargée de recherche au CNRS. Elle est l’auteur de “Le frérisme et ses réseaux, l’enquête” chez Odile Jacob.
Propos recueillis par Bartolomé Lenoir.
Une Certaine Idée : Les Frères Musulmans sont-ils nombreux en France ?
Les Frères musulmans sont installés sur tous les continents. Ils ne publient pas la liste de leurs membres. Il s’agit d’une confrérie strictement secrète sauf dans les pays musulmans où elle présente des listes aux élections. Dans les démocraties libérales et séculières les Frères n’ont aucune chance d’accéder au pouvoir, du moins maintenant et si on excepte le cas de certaines communes de Bruxelles par exemple. En Europe ils utilisent ce que j’appelle des « partis coucous ». Le coucou est cet oiseau qui fait couver ses œufs dans le nid d’autres espèces d’oiseau. Les Frères font couver leur idéologie essentiellement par LFI en France, mais ils peuvent aussi utiliser d’autres partis au niveau local avec des élus peu scrupuleux qui ne regardent pas avec qui ils dealent leur élection. La gauche et la droite sont concernées. Leur nombre n’est pas connu mais ils sont très efficaces puisqu’ils influencent, sans forcément les piloter, de nombreuses associations et l’immense majorité des centres de formation à l’islam. La Grande Mosquée de Paris de Chems-Eddine Hafiz comme la FIF de Bencheikh ne leur opposent aucune résistance, et le CFCM est devenue une boite vide.
UCI : Quels sont les liens qui les unissent dans le monde entier ? Est-ce un « groupe » avec une hiérarchie clair et des objectifs précis ?
Les liens entre les différents centres d’influence des Frères musulmans sont structurels et idéologiques. La confrérie égyptienne abrite le guide suprême, mais la branche européenne qui possède un certain degré d’autonomie est de plus en plus influente. Elle est entièrement libre et relativement peu entravée dans ses actions car c’est une branche légaliste qui, compte tenu du contexte européen, agit par le droit, la culture et l’économie dans le cadre de la loi. Ses activités sont surveillées, comme toutes les entités, contre la délinquance financière mais pas vraiment pour ses activités idéologiques séparatistes. Si on veut schématiser, la confrérie est structurée en au moins deux cercles, il y a les membres et il y a les affiliés. Les membres qui ont prêtés serment sont discrets et difficile à repérer. Les affiliés n’ont pas forcément prêté serment mais agissent pour son compte dans l’espace public, ils tiennent des organisations de lutte contre le racisme et l’islamophobie, de protection de l’environnement, répondent aux appels d’offre de l’UE pour étudier les liens entre climat et islamophobie, le racisme systémique en Europe, la santé mentale et l’islamophobie, la mode modeste et engrangent ainsi beaucoup d’argent, de légitimité et se familiarisent avec les éléments de langage et les techniques de marketing. Leur volonté est d’islamiser la société, de la rendre charia-compatible avant qu’elle ne devienne terre d’islam. Peu importe qu’ils y arrivent ou non, ce qui compte c’est ce qu’ils font maintenant pour y parvenir, c’est-à-dire démoraliser, déstructurer, décomposer, déconstruire nos démocraties.
UCI : Ont-ils un pouvoir d’influence auprès des musulmans français ? Quel moyen utilisent-il pour propager leur idéologie ?
Leur influence est immense en comparaison de leur faible nombre. On leur doit les résultats de sondage qui montrent que les trois quarts des jeunes musulmans affirment préfèrer la charia aux lois de la République. Il importe peu que ces jeunes sachent de quoi ils parlent, le fait de l’affirmer montre qu’ils savent à quoi ils doivent obeir et dont ils sont fiers. Les prédicateurs ont plus de crédits à leurs yeux que les politiques, et parfois même leur propre famille musulmane supposée pratiquer un islam inauthentique et ringard.
UCI : Pourquoi ne sont-ils pas interdits dans notre pays ?
Interdire les Frères musulmans peut avoir son utilité puisque cela peut permettre de mieux surveiller leurs activités. Mais ils s’installeront en Belgique par exemple où ils sont très bien accueillis, donc à 1h40 en Eurostar de Bruxelles.
L’autre problème c’est qu’ils se sont structurés pour faire face à une telle interdiction : une branche peut tomber, une autre pousse selon l’image de l’étoile de mer proposée par l’ex-Frère musulman Mohamed Louizi. Le système de parrainage et d’affiliation leur permet de ne pas trop être exposé. Donc je ne crois pas à cette solution d’interdiction pour résoudre le problème de l’extension de l’idéologie frériste. Les digues viendront des musulmans eux-mêmes, mais en attendant il faut apprendre aux politiques à ne plus « dealer » avec eux et pour cela leur donner des clés d’identification de ces acteurs très discrets.
UCI : La situation en Israël avec les attaques du Hamas peut-elle avoir un impact en France via les frères musulmans ?
Sans aucun doute. Ce sont les Frères musulmans qui maintiennent le feu couvant du conflit israélo-arabe en Europe. Ce sont eux qui décideront quand il sera temps d’embraser les banlieues. Il faut empêcher que le rapport nous soit si défavorable qu’il ose lancer le signal de la « révolte ». Car pour eux c’st une guerre de libération pas seulement de la Palestine qui n’est qu’un prétexte, mais de la da’wah contre l’occident mécréant. Pour le moment ils préfèrent l’avancée pacifique en Europe et force est de constater qu’avec ses deux piliers le marché international du halal (pull) et la lutte prétendue contre l’islamophobie structurelle (push) rien de bien solide ne leur résiste.