
Daniel Saada est diplomate de carrière. D’abord ambassadeur dans plusieurs pays d’Afrique, il a été nommé chargé d’affaire de l’ambassade d’Israël en France entre 2020 et 2021.
Propos recueillis par Bartolomé Lenoir.
UCI : Où en est-on aujourd’hui des attaques du Hamas ?
Ces attaques ont commencé samedi matin, par l’intrusion d’environ un millier de terroristes, à la fois par la voie terrestre, mais aussi maritime et aérienne. Ils ont pénétré l’ensemble des localités civiles, les kibboutz (ces petits villages communautaires qui se trouvent le long de la frontière entre Gaza et Israel). Parallèlement, ils ont lancé une véritable attaque aérienne sur les villes avoisinantes, avec plus d’un millier de missiles tirés. Et, avec leur capacité longue distance, ce sont aussi des villes plus éloignées, telles que Tel-Aviv et Jérusalem, qui ont été touchées.
Aujourd’hui, soit quatre jours après la première attaque, nous avons réussis à sécuriser le terrain. Il n’y a plus un seul terroriste sur le sol israélien, ni d’intrusion depuis la frontière. Qui plus est, nous avons lancé un grand nombre d’opérations à l’intérieur de Gaza, essentiellement par voie aérienne, afin de porter atteinte aux capacités et infrastructures terroristes du Hamas.
En revanche, depuis samedi matin, nous continuons à subir des attaques de missiles régulières. Mais ces attaques ne sont pas nouvelles pour nous. En effet, nous avons quitté la bande de Gaza il y a vingt ans, et malgré ce, depuis vingt ans nous subissons des attaques de missiles.
À ce propos, les commentateurs utilisent le terme de “roquette”. Or, cela fait davantage penser à des engins artisanaux. Mais ce que nous recevons sur nos têtes, ce sont des missiles chargés par 100kg à 150 kg d’explosifs. Des dizaines de milliers de missiles ont été tirés depuis 20 ans sur les villes israéliennes, y compris les grandes agglomérations, et si nous avons pu éviter la mort de dizaine de milliers de personnes, c’est d’abord grâce à un système de défense particulièrement sophistiqué. Le “dôme de fer” notamment. Puis c’est aussi grâce à notre population particulièrement disciplinée. En effet, la plupart de nos habitations ont des abris ou des chambres de sécurité, qui permettent de maintenir la population en sécurité dans le cas où certains de ces missiles parviendraient à traverser le dôme.
En dépit de cette sécurité relative, c’est une situation intenable que je ne souhaite à personne.
UCI : D’un point de vue balistique, savez-vous d’où viennent ces armes ? Qui les fabrique ?
La question des financements et de l’approvisionnement est essentielle. Il est incontestable qu’il faut de l’argent, des ressources, de l’entraînement et des capacités opérationnelles. Nous savons que le Hamas est soutenu financièrement et matériellement par l’Iran. Par le passé, nous avons réussi à intercepter un grand nombre de ces approvisionnements mais la difficulté reste la multiplicité des filières d’approvisionnement. Ils passent d’abord par voie terrestre, notamment le désert de Sinaï. Puis via l’infrastructure souterraine construite par le Hamas, dont on décompte plus de 150 km de souterrains construits par des ingénieurs spécialisés. On parle d’une “ville souterraine” sous la bande de Gaza, dont le périmètre équivaudrait à celui du métro parisien. Enfin, la voie maritime est aussi empruntée, et ce, malgré toutes les précautions que l’on a pu prendre. Et pour cause, si depuis vingt ans nous sommes accusés de maintenir un blocus autour de Gaza, il faut rappeler que la bande de Gaza n’a pas pour seule frontière celle d’Israël. Mais que sur 15 km elle est également en contact avec l’Egypte. Or cette frontière-ci est particulièrement perméable car elle est limitrophe avec la péninsule de Sinaï. Or c’est un territoire dans lequel la gouvernance égyptienne est extrêmement limitée car s’y sont développés des groupes liés à Al Qaida. De surcroit et de manière traditionnelle, on y trouve, avant même que le Hamas ne prenne le pouvoir à Gaza, le va-et-vient de tribus bédouines. Or ces dernières ont pris pour habitude d’installer des filières de contrebande entre le Sinaï et la bande de Gaza.
Ainsi, si nous, les Israéliens, avons tout fait pour essayer d’empêcher la circulation d’armes ou de matériaux à usage double (à savoir, les matériaux pouvant servir à la fabrication d’armement), nous n’avons jamais totalement réussi car nous n’avons pas réussi à établir de blocus parfaitement hermétique. Par exemple, nous avons laissé entrer du béton parce qu’il fallait construire des écoles, des hôpitaux, des théâtres à Gaza. Or, à la place de ces infrastructures, le béton a servi à construire des tunnels de la terreur, des tunnels servant ces réseaux terroristes.
UCI : Comment le Hamas se finance-t-il aujourd’hui ?
En réalité, il s’agit ici de s’intéresser au choix fait par le Hamas, par la direction palestinienne et par sa population vivant à Gaza, du domaine dans lequel ils veulent investir et se développer.
Il faut garder à l’esprit que Gaza est géré par la population palestinienne depuis vingt ans. Et que le Hamas y est arrivé au pouvoir par la voie de l’élection. Non comme un accident de la nature ou une fatalité mais bien par le soutien et le vote de la population de Gaza pour cette idéologie. Or, en faisant un tel choix politique, la population de Gaza a de fait, également choisi de ne pas se lancer dans le développement de ses territoires.
Alors, certes les conditions de vie y sont difficiles. Cependant, elles ne sont que le prix à payer du choix de la Terreur. En effet, quand on se souvient qu’en 1968, soit vingt ans après la création d’Israël, le pays était déjà un pays moderne, qui avait obtenu deux prix Nobel et qui allait de l’avant, on se dit que Gaza aurait pu faire de même… Or il a opté pour le terrorisme.
UCI : On sait que l’Autorité palestinienne n’est pas le Hamas. Or, vous nous dîtes que le Hamas a été élu. Que cela signifie-t-il exactement ?
En 2006, lors des dernières élections générales au sein de l’Autorité palestinienne, le Hamas remportait le territoire de la bande de Gaza. Immédiatement après, il y eut une guerre civile entre les fidèles de l’Autorité palestinienne (du parti “Fatah”, de Mahmoud Abbas, surnommé Abou Mazen) contre le Hamas. Près de 650 personnes sont mortes et les soutiens du parti se sont vus expulsés de la bande de Gaza. D’ailleurs, les Israéliens leur avaient apportés de l’aide, afin que ces fidèles de l’Autorité palestinienne puissent quitter le territoire sur lequel ils étaient massacrés et trouver un refuge. Depuis lors, le Hamas a pris le pouvoir dans la bande de Gaza.
Ainsi, il y a bien une Autorité palestinienne. Et bien qu’on puisse lui adresser des reproches, notamment en Cisjordanie où les conditions de vie ne sont pas idylliques, la situation est tout de même bien différente de celle de Gaza, avec la mainmise du Hamas.
UCI : Si nous comprenons bien, au sein de l’Autorité palestinienne actuelle, il n’y a pas le Hamas ?
En effet, l’Autorité palestinienne actuelle assoie sa souveraineté uniquement en Cisjordanie. Ils n’ont plus aucune emprise sur le territoire de Gaza.
UCI : Vous évoquiez l’Iran comme la source de revenus et de munitions du Hamas. Mais on a aussi pu voir le Hezbollah envoyer des roquettes auxquelles Israël a répondu. Ne craignez-vous pas une généralisation du conflit ? Israël peut-il s’en prémunir ?
Vous avez raison. L’Iran a le bras longs dans notre région. Le Hamas dans la bande de Gaza et le Hezbollah au Liban sont ses bras armés. Ils servent ses intérêts, à savoir : sa tentative d’envenimer la situation actuelle.
En effet, comment a-t-on pu arriver, ce samedi, à un tel déferlement de violences alors qu’il n’y a eu aucune provocation de la part d’Israël ?
Alors que pour ses tirs précédents, toujours injustifiés par ailleurs, le Hamas avait pris le prétexte d’incidents commis par Israël, aujourd’hui il n’y avait absolument aucun élément déclencheur. Nous étions même dans une dynamique de blocus “léger”. Des milliers de travailleurs de Gaza entraient régulièrement en Israël pour pouvoir travailler et faire vivre leurs familles. Des convois de marchandises passaient régulièrement et l’apprivoisement en gaz, en eau, en électricité ou en matière premières était fluide.
Néanmoins, il y a dix jours, notre Premier ministre, depuis la tribune des Nations Unies, lors de son discours devant l’Assemblée générale, a évoqué une vision du nouveau Moyen Orient. Une vision qui repose notamment sur l’approche d’un accord imminent de normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite. Or, c’est ce nouveau Moyen Orient pacifié que l’Iran veut faire exploser.
C’est la raison pour laquelle il a lancé à travers son bras armé, le Hamas, un brasier de violences. Demain peut-être, ce sera à travers le Hezbollah. En effet, nous avons pu voir des accrochages ces deux derniers jours. Mais nous faisons tout pour éviter cette généralisation du conflit, notamment en demandant à nos partenaires (nos pays amis desquels la France fait partie) d’intervenir autant que possible auprès du Hezbollah pour les inviter à ne pas se lancer dans cette aventure car le prix qu’ils devront payer risquerait d’être beaucoup trop élevé.
UCI : Avez-vous autre chose à ajouter ?
Simplement revenir sur le destin du peuple palestinien. Comme je le disais, il n’y a pas de fatalité.
L’enjeu de la question palestinienne, c’est la volonté des Palestiniens à se diriger vers la paix. Or ils ont fait le choix, à travers le Hamas, d’un mouvement djihadiste. Ils ont fait le choix, à l’égard de l’Autorité palestinienne, de l’irrédentisme politique. Aujourd’hui, en effet, lorsqu’un terroriste se fait exploser dans un restaurant ou dans un autobus, on frappe encore des timbres et des monnaies à son effigie. On va glorifier sa mémoire en lui attribuant un nom de rue…
Et tant que l’on continuera sur cette voie, nous n’arriverons jamais à la paix.
Il faut que le peuple palestinien tourne le dos à la violence, au terrorisme et à la confrontation. Avec ce geste très fort mais simple : il suffit de dire “nous renonçons à la violence.”.
Aujourd’hui, cela fait 75 ans que nous attendons que notre partenaire palestinien renonce à vouloir nous détruire. L’Egypte y a renoncé en 1977, grâce au président el-Sadate. Depuis nous sommes en paix. La Jordanie aussi, en 1994, grâce au roi Hussein. Le pays du Golfe a fait de même en normalisant nos relations. Et c’est également le cas du Maroc. Quant à l’Arabie saoudite, elle s’apprêtait à le faire.
Il faut renoncer à la violence. Il faut accepter l’idée que le peuple israélien existe car nous allons continuer d’exister au Proche-Orient. Nous ne comptons pas disparaitre de la région, bien au contraire !
Pour finir je voudrais simplement remercier le parti des Républicains. Vos parlementaires, députés et sénateurs, ainsi que l’ensemble de vos élus affichent régulièrement une attitude extrêmement équilibrée et amicale vis à vis d’Israël. Merci de tout cœur.
UCI : On pense à vous, à tout votre peuple. Le président des Républicains, Eric Ciotti l’a rappelé encore ce jour. Ce que vous vivez, cette guerre, nous affecte profondément. Soyez sûrs de recevoir tout notre soutien.