
Frédéric Péchenard est un commissaire divisionnaire de police, haut-fonctionnaire et homme politique. Ayant intégré l’École nationale supérieure de police de Saint-Cyr en 1981, il est placé préfet hors cadre et est nommé à la tête de la Direction générale de la Police nationale du 11 juin 2007 au 31 mai 2012, après en avoir été le contrôleur général et le directeur des services actifs. Spécialiste des questions de sécurité intérieure, il est vice-président en charge de la Sécurité et de l’Aide aux victimes au conseil régional d’Ile-de-France depuis décembre 2015.
Propos recueillis par Bartolomé Lenoir.
UCI : Où en sommes-nous de la situation des fichés S aujourd’hui en France ?
FP : Ce qu’il faut bien comprendre quand on parle de fichés S, c’est ce que cela signifie exactement. C’est une inscription de quelqu’un dans un fichier beaucoup plus large : le fichier des personnes recherchées. C’est un fichier auquel ont accès les policiers et les gendarmes notamment.
Les personnes peuvent être recherchée pour plusieurs raisons et font l’objet de fiches différentes. Par exemple, un mineur en fugue fait l’objet d’une fiche M. Par exemple, quelqu’un recherché par la police judiciaire fait l’objet d’une fiche PJ. Dans ces fiches, la fameuse fiche S est l’abréviation pour Sûreté de l’État.
“Sur les 20.000 fichés S, la moitié sont en lien avec l’islamisme radical.“
On y place un certain nombre de personnes susceptibles de porter atteinte à la sûreté de l’état ou qu’on surveille pour atteinte à la sureté de l’état sans qu’ils soient mis en cause. Je pense ainsi à la mère française d’un terroriste de Daech parti en Syrie.
C’est donc une façon pour les services de renseignement de pouvoir suivre quelqu’un. Quelqu’un qui fait l’objet d’une fiche S, lorsqu’il est contrôlé, il n’est pas interpellé mais tout un tas de renseignements sont pris sur lui et envoyés au service à l’origine de la création de la fiche, à savoir généralement la DSGI (70% des fiches S ont pour origine la DGSI).
Sur les 20.000 fichés S, la moitié sont en lien avec l’islamisme radical. Les autres peuvent être de l’ultra-droite, de l’ultra-gauche, des espions, etc.
UCI : Il y a donc environ 10.000 fiches S liés à l’islamisme radical ?
FP : Ces chiffres sont un peu anciens. Ils avaient été donnés par Manuel Valls quand il était Premier ministre. Ces chiffres sont naturellement secret défense. Les services de renseignement surveillent ces gens de plus ou moins près. La fiche S n’est qu’un moyen parmi d’autres pour le renseignement.
UCI : Peut-on estimer leur nombre d’aujourd’hui ?
FP : Il est probable qu’il y en ait plus, en lien avec les soucis que nous avons eu avec l’ultra-droite et l’ultra-gauche, tandis que la menace islamique n’a pas du tout baissé. Mais cela n’a pas doublé non plus.
UCI : Comment surveille-t-on autant de milliers de personnes ?
FP : On n’y parvient pas. Il y a un vivier de personnes potentiellement dangereuses. Les services de renseignement font ensuite une sorte de classement, avec les personnes les plus dangereuses qui font l’objet d’autres outils de renseignement : pose de caméras, filatures, écoutes, micros, etc. Cela doit être autorisé par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui est une commission indépendante et qui relève de Matignon.
UCI : Concernant Arras, il s’agirait d’un fiché S étranger. Pourquoi ne sont-ils pas expulsés ?
FP : C’est une bonne question. La principale des mille raisons est que le fichage S ne facilite pas l’expulsion. On peut être réfugié politique et être fiché S et donc ne pas être expulsé. On peut aussi être marié à une Française ou né en France, et on ne peut pas être expulsé.
Je trouve cela tout à fait anormal qu’on ne puisse pas expulser des étrangers qui posent des problèmes sur le territoire national. Cependant, parfois les services de renseignement préfèrent que l’expulsion n’ait pas lieu afin de garder la personne surveillée sous la main.
UCI : Éric Ciotti a demandé la mise en place de l’état d’urgence. Pourriez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?
FP : L’état d’urgence permet en fait à l’autorité administrative de s’affranchir d’un certain nombre de règles du droit pénal quotidien et permet aux policiers sous l’autorité du préfet de réaliser des perquisitions administratives sans besoin qu’elles soient des perquisitions judiciaires. En gros, cela donne plus de pouvoir aux préfets et donc aux policiers, sans rendre nécessaire le passage par la voie judiciaire.
UCI : Auriez-vous un commentaire à ajouter au regard de la situation à Arras ?
FP : Visiblement, le frère aîné de l’assaillant est en prison depuis 2019 pour un projet d’attentat déjoué. L’assaillant était surveillé d’assez près mais non pas de suffisamment près visiblement. Mais surtout la question se pose quant à sa présence sur le territoire national. Il est clair qu’il manque quelque chose sur le plan juridique dans notre pays : il faut absolument retrouver la maîtrise du contrôle de notre immigration et pouvoir expulser de France des étrangers qu’on ne désire pas sur notre territoire.