

Patrick de Gmeline est né en 1946 à Paris. Il descend d’une famille allemande devenue russe en 1812, qui a donné de grands savants (Johann-Goerg Gmelin, explorateur de la Sibérie entre autres) et de sa branche, des officiers. Son grand-père, le colonel Vassili Gmelin était capitaine de cavalerie dans la grande impériale. Historien militaire, il a publié une trentaine de livres récompensés par une dizaine de prix littéraires. Marié à Géraldine de Curières de Castelnau, petite fille du général de Castelnau, chef d’état major général en 1917, il a trois fils et sept petits enfants.
Que s’est-il passé concrètement le 11 novembre 1918 à 11h00 ?
Ce jour-là, à cette heure-là (« la 11ème heure, du 11ème jour, du 11ème mois » comme j’ai pu intituler l’un de mes livres), la guerre s’arrête sur le terrain, même si, concrètement, elle ne s’achèvera qu’avec le traité de Versailles.
Il faut noter que la Russie était déjà sortie du conflit en signant une paix séparée avec l’Allemagne : le traité de Brest-Litovsk en janvier 1918. Mais du côté du front de l’Ouest, c’était différent. Il y avait encore des offensives. L’une des dernières attaques fut d’ailleurs lancée par les Français et les Belges dans la région de Bruges et a réussi à enfoncer l’armée allemande.
Toutefois, à l’automne 1918, l’armée allemande est certes vaincue mais pas encore à terre.
Les combats cessent donc dès que la sonnerie du clairon résonne ce 11 novembre à 11h00 ? Les combats s’arrêtent intensément ?
C’est le caporal Sellier qui, debout, sur le marchepied d’une voiture, a sonné le premier “cessez-le-feu”. Ce signe d’arrêt des combats était quelque chose d’extraordinaire pour tous ces hommes français et allemands qui vivaient cette guerre depuis cinq ans maintenant et avaient vu des milliers de morts.
Il y eut encore quelques combats cependant. Plusieurs milliers d’hommes tombaient à l’heure où l’armistice sonnait puisque les combattants, s’ils savaient que l’armistice allait être signé, ils n’en connaissaient pas les détails, l’heure notamment. De fait, certains combattants ont continué à échanger des coups de feu.
Comment la fin des hostilités a-t-elle été accueillie des deux côtés de la ligne de front, autant chez les Alliés que chez les Allemands ? Puisque l’on sait que l’armée allemande n’était pas brisée, est-ce qu’il y eut des tentatives de poursuivre le conflit, à l’initiative d’officiers allemands par exemple ?
Non. Les quelques morts comptés au-delà de la date de onze heures étaient dus à des événements ponctuels, dans des endroits isolés où la nouvelle n’était pas encore arrivée.
Globalement, le peuple allemand explose de joie. Pour tous les belligérants, la guerre est finie. On est fou de joie. Les mécontents, parmi les Allemands, sont une minorité. Ce sont ceux qui étaient persuadés que l’Allemagne aurait pu continuer la guerre. D’ailleurs, c’est cette idée revancharde, née de ce “coup de poignard dans le dos” qu’aurait été la signature de l’Armistice, qui sera la cause de la Deuxième Guerre mondiale. Mais pour l’heure, on en est loin. Tout le monde est absolument fou de joie.
En France, notamment, c’est quelque chose d’extraordinaire et de très important. À tel point que la date du 11 novembre est exceptionnellement symbolique. Pour l’histoire du monde, c’est la date de la paix alors que, en réalité, la paix ce n’est que plus tard, en juin 1919, à Versailles.
Hier comme aujourd’hui, personne n’est indifférent à la date du 11 novembre. C’est la date où un conflit mondial, qui a touché tant de pays, se termine. Comme le 14 juillet, le 11 novembre est une fête nationale. C’est un jour célébré où personne ne reste chez soi. À commencer par les chefs d’État. Le président de la République, le 11 novembre, monte à l’Arc de Triomphe. Il y a des cérémonies importantes. Le 11 novembre c’est la date par excellence. Pour moi, en tant qu’historien, le 11 novembre c’est, presque, plus important que le 14 juillet.
Les soldats sont-ils convaincus que, ce 11 novembre 1918, représente réellement la cessation des hostilités ? Sont-ils vraiment convaincus que cette date met fin à toute guerre et que celle qu’ils venaient de vivre serait la “der des der” ?
Oui. Pour avoir vu tellement d’horreurs pendant les cinq ans de guerre, les soldats, et le peuple français en général, pense sincèrement que c’est la dernière. À ce propos, il faut savoir que le “peuple français” regroupe aussi bien le petit peuple que la bourgeoisie. Or les officiers sont issus de tous les milieux. Il n’y a pas que des aristocrates saint-cyriens. Mais il y a aussi des gens extrêmement courageux qui ont commencé comme deuxième classe et qui, par leur courage, se sont élevés dans la hiérarchie militaire jusqu’à devenir officiers. La guerre, il faut le dire, aura permis à certains de changer de classe sociale, d’évoluer.
Ainsi, en 1918, on est profondément fou de joie du côté français, anglais ou allemand. À l’époque, ils ne pouvaient pas s’imaginer que dans quelques années, ils allaient remettre ça.
Pour conclure, savez-vous, quel rapport nourrissent les Allemands à l’égard de cette date qu’est le 11 novembre ?
Les Allemands n’ont pas du tout le même rapport à cette date que les Français. Bien sûr, tous les Allemands savent ce que le 11 novembre signifie mais au niveau cérémoniel c’est différent. Reste toutefois que des cérémonies sont organisées car les Allemands ont, comme nous, leurs monuments aux morts couverts de noms. Il y a une égalité dans la mort qui supprime, d’une certaine manière, les frontières. Et c’est pourquoi cette date est très importante et le restera.