
À l’occasion du salon du Made In France qui vient de se terminer, Charles Huet, fondateur de la Carte Française, et auteur du Guide des produits Made In Emplois revient pour nous sur la situation de l’industrie en France.
Propos recueillis par Bartolomé Lenoir.
UCI : Où en est l’industrie en France aujourd’hui ?
CH : L’industrie française a perdu un million d’emplois depuis 25 ans. La France est désormais avec la Grèce le pays le plus désindustrialisé de l’OCDE. La part des produits manufacturés en France dans la consommation totale des français est passée de 82% en 1965 à 38% en 2019.
Le retour d’une mobilisation des consommateurs pour le Made in France depuis le début des années 2010 a fini par progressivement porter ses fruits. La désindustrialisation a été enrayée depuis 2017 avec un solde de d’ouvertures/fermetures d’usines enfin de nouveau positif, selon les chiffres de Trendeo. Entre autres exemples, la filière textile a pour la première fois depuis 60 ans créé en 2017 plus d’emplois qu’elle n’en a détruit avec une solde de création de 3.000 emplois. La filière avait perdu 90% de ses effectifs en 60 ans. Cependant la balance commerciale reste massivement déficitaire, même hors énergie (-4 milliards€ pour les biens en aout 2023 selon la Banque de France).
UCI : Quelle est désormais la tendance ?
CH : Le Covid a été une prise de conscience générale de notre grande nudité industrielle et de la nécessité vitale de disposer d’un tissu industriel sur lequel s’appuyer en cas de rupture des chaines d’approvisionnement international en cas de crise sanitaires ou géopolitiques. La période Covid a nettement accéléré la relance de politiques publiques comme de passages à l’acte individuels. 62% des français déclaraient avoir augmenter la part de produits Made in France dans leur consommation durant les confinements.
Mais cette période semble désormais très lointaine. A la crise Covid ont succédé les crises ukrainiennes, crises énergétiques et retour de l’inflation. Les promesses de monde d’après sont oubliées depuis longtemps et la contraction du pouvoir d’achat frappe particulièrement le Made in France.
La période actuelle est la plus grave qu’ait connu le Made in France depuis son retour sur le devant de la scène au tournant des années 2010. Ce Noel sera celui de la dernière chance pour un nombre inédit d’entreprises Made in France encore jeunes et fragiles.
Plus que jamais nos usines et nos villes moyennes ne survivront pas à la persistance d’un important décalage entre les paroles de soutien et les actes réels d’achat local.
UCI : N’y a-t-il pas un phénomène consommateur qui se heurte à l’inflation et la diminution du pouvoir d’achat. Comment on fait du MIF quand on a de l’inflation ?
CH : D’abord l’inflation touche tous les produits du monde, pas que les produits français.
Ensuite le Made in France n’est pas toujours plus cher. DOP fabriqué à Rambouillet est le shampoing le moins cher au litre du marché. Un jean’s 1083 coute moins cher qu’un jean’s Levi’s ou Diesel. Un tiers des marques des produits premiers prix alimentaires sont des produits de marques de distributeurs fabriqués en France.
L’inflation invite à consommer moins mais mieux. A investir dans la qualité, plus solide et donc plus durable. Acheter chinois c’est acheter 10 fois quant un pull Saint James, un verre Duralex ou un couteau Opinel se transmettent de génération en génération. A la longue, la fast fashion low cost, le tout jetable et l’obsolescence programmée se révèlent fort couteux. La qualité est plus économique sur la durée.
On peut équilibrer son équation budgétaire en complétant ses achats de Made in France d’achat de produits de seconde main, plus économiques, plus écologiques et qui suivent la même logique de recycler son argent localement.
Enfin, les acteurs du Made in France se mobilisent et se serrent les coudes : Avec Les jours Tricolores, plus de 200 marques et organisations fédérant le Made in France se mobilisent pour contrer le Black Friday et inviter les français à faire de bonnes affaires avec le Made in France via codes promo commun, jeux-concours et remises transformées en carte-cadeau du Made in France.
UCI : Quel avantage écologique prioritaire au MIF ?
CH : Il n’y a rien de plus vert que le Bleu Blanc Rouge. La majorité de notre empreinte carbone est importée. Consommer Made in France c’est au moins diviser par deux son empreinte carbone.
Consommer local c’est évidemment par effet de proximité géographique limiter les émissions de gaz à effet de serre en limitant les transports liés aux importations.
Mais il est en réalité plus important de consommer français que de consommer local à cause de notre plus important avantage comparatif : le mix électrique français est le moins carboné du monde. En effet grâce à l’importance de notre production nucléaire et hydrolique, la France alimente les machines de ses usines avec une électricité 2 fois moins carbonée qu’en Espagne, 4 fois moins qu’au Portugal, 5 fois moins qu’en Allemagne, 10 fois moins qu’en Pologne (source : Electricitymap.org). Or les deux tiers de l’empreinte carbone d’un produit est acquis lors de sa production, 10% seulement lors de son transport.
Enfin les normes européenne, déjà le plus drastiques du monde d’un point de vue environnemental sont en plus souvent sur-transposées en France (comme pour l’usage de phytosanitaires en agriculture par exemple). Quitte à ce que ce soit un handicap pour la production, autant en faire un argument pour la commercialisation.
UCI : Ne faut-il pas envisager la question de la globalisation pour réellement agir ?
CH : Le Made in France permet de percevoir l’immense différence entre les emplois exposés à la concurrence internationale (industrie, artisanat, agroalimentaire) et emplois préservés de la concurrence internationale (service à la personne, services publics). Une activité exportable est délocalisable. Elle est donc à la fois plus précieuse et plus fragile.
Aucune usine française ne peut employer plus de 100 personnes sans exporter. C’est absolument nécessaire de s’insérer dans le commerce et la concurrence mondiale pour prospérer. La mondialisation est une compétition. Elle est donc autant porteuse de menaces que d’opportunités. Le problème ce n’est pas la compétition c’est le fait que notre environnement réglementaire et fiscal met des boulets au pieds de nos champions beaucoup plus lourds que ceux de leurs concurrents.
Il faut en revanche ne pas être les naïfs, les idiots du village global. Exiger la réciprocité. S’autoriser à se défendre, protéger nos intérêts et privilégier nos entreprises comme le font toutes les grandes puissances du monde.
UCI : Que pensez-vous d’un fond souverain ?
CH : Tout dépend de ce qu’on met derrière.
Ce qui manque cruellement à la France et me semblerait vraiment puissant, ce sont des fonds de pension souverain. Pour flécher vers nos entreprises exposées à la concurrence internationale l’immense épargne des français et un partie de leur assurance retraite qui serait ouvert à la capitalisation.