
Depuis cette année, Benoît Perrin est directeur de Contribuables Associés, principale organisation de défense des contribuables en France. Nous revenons avec lui sur le poids important de la fiscalité en France corrélé à une hausse continue et exponentielle des dépenses publiques.
Propos recueillis par Bartolomé Lenoir.
Une Certaine Idée : La hausse significative de la taxe foncière est-elle principalement liée à la suppression de la taxe d’habitation voulue par Emmanuel Macron, ou est-ce aussi lié à la mauvaise gestion de certaines municipalités ?
Benoît Perrin : Le gouvernement n’a pas voulu remettre en cause la hausse de 7,1 % des valeurs locatives. Celle-ci s’applique à toutes les communes mais certaines d’entre elles ont fait le choix d’aller plus loin. Je pense notamment aux villes de Paris, Bordeaux ou encore Grenoble qui ont décidé d’augmentations à deux chiffres ! Pourtant, il aurait été judicieux d’examiner avec minutie ses dépenses plutôt que de faire porter le chapeau aux propriétaires. Un responsable de famille qui voit ses ressources diminuer cherche avant tout à diminuer ses dépenses. Au nom de quoi l’État ou une collectivité locale ne raisonnerait-il pas ainsi ? Soulignons cependant les décisions courageuses de certains maires qui ont décidé de baisser les taux comme à Brive-la-Gaillarde (Corrèze), Tarbes (Hautes-Pyrénées) ou encore Compiègne (Oise).
UCI : Les petites communes ont-elles été les plus touchées par cette suppression de la taxe d’habitation ?
BP : Il est vrai que certaines petites communes souffrent financièrement. Pour autant, il faut rappeler qu’elles sont souvent mieux gérées que les grosses collectivités. Les maires sont en contact direct avec leurs administrés et leur rendent des comptes au jour le jour. Ils savent qu’ils seront tenus responsables de l’échec de tel ou tel projet, d’un équipement qui fonctionne mal ou d’une dépense inutile.
UCI : Chaque année, vous effectuez une notation quant à la situation financière et aux taux d’imposition dans chaque ville de France. Pourriez-vous nous parler du cas plus spécifique de Paris, la capitale ayant connu tout récemment une explosion de la taxe foncière ?
BP : À Paris, il y a effectivement une augmentation de la taxe foncière totalement déraisonnable et irresponsable de la part de la maire de Paris. Rappelons au passage qu’elle avait promis lors de sa dernière campagne électorale de ne pas augmenter les impôts… La loi interdit aux communes de voter des budgets de fonctionnement en déséquilibre et il y a fort à parier que cette augmentation vise à éviter la mise sous tutelle de la ville par le préfet. La mairie de Paris dépense sans compter et, pour faire plaisir à certains, refuse justement d’examiner à la loupe les dépenses qui sont les siennes. La situation financière de la ville doit être connue de tous : pour un budget de 10 milliards d’euros, la ville accuse une dette de 8 milliards, soit le double du montant lors de l’arrivée de la maire de Paris en 2014 ! Lorsque Jean Tibéri a quitté la mairie en 2001, la dette s’élevait alors à un peu plus d’un milliard d’euros. La municipalité vit largement au-dessus de ses moyens, d’autant qu’on ne peut pas dire que les services rendus à la population soient au niveau… Les Parisiens le voient tous les jours : des chantiers fantômes, des bouchons interminables, de l’insécurité, de la laideur et de la saleté.
“La mairie de Paris dépense sans compter et, pour faire plaisir à certains, refuse justement d’examiner à la loupe les dépenses qui sont les siennes.”
UCI : Sait-on dans quel(s) domaine(s) l’argent des contribuables parisiens est dilapidé ?
BP : Oui, prenons l’exemple de la politique du logement. Le budget d’investissement total alloué au logement social pour 2023 est de 428,9 millions d’euros. L’adjoint au maire en charge du logement Ian Brossat ne s’en cache pas : il veut atteindre 40 % de logement public en 2035. L’objectif est clair : faire de la ville de Paris une ville de locataires sociaux, tributaires du bon vouloir de la direction de la ville de Paris. Il y a aussi beaucoup d’argent donné aux associations : rien qu’en 2022, les contribuables parisiens ont été sollicités à hauteur de 236 millions d’euros pour financer plus de 2 500 structures. Un contrôle de l’utilisation de l’argent public est-il bien réalisé ? Rien n’est moins sûr. Il faut aussi arrêter les gaspillages comme celui de la promenade Barbès-Stalingrad (Xe, XVIIIe, XIXe arrondissements de Paris) placée sous les arcades métalliques du métro aérien. Elle a été réquisitionnée par les vendeurs à la sauvette, les délinquants et les migrants. Bilan de l’opération : 11 millions d’euros mis à la poubelle.
UCI : Une mise sous tutelle par l’État de la capitale est-elle devenue sérieusement envisageable ?
BP : Compte tenu de l’état financier de la ville, il ne faut pas exclure cette hypothèse. Le gouvernement, par l’intermédiaire de Gabriel Attal, alors ministre de l’Action et des Comptes publics, l’a déjà envisagée. Juridiquement, cela est possible, notamment s’il est prouvé que les comptes ne sont pas sincères (recettes surévaluées ; dépenses sous-évaluées). Conformément à l’article 72 de la Constitution, la loi prévoit un contrôle budgétaire des communes, exercé exclusivement par le préfet en lien avec les chambres régionales et territoriales des comptes. Malheureusement, la mise sous tutelle est rare. Quelques collectivités seulement y ont été contraintes, comme Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne) en 2003, Pont-Saint-Esprit (Gard) en 2008 et Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) en 2009. Maintenant, qui aurait imaginé que la deuxième ville du Royaume-Uni allait se déclarer en faillite ? Le conseil municipal de Birmingham, qui fournit des services à plus d’un million de personnes, a publié il y a quelques jours une déclaration précisant qu’il arrêtait toutes les dépenses, sauf celles liées aux services essentiels. C’est simple, elle ne peut même plus payer ses factures ! Sans réformes de fond, il y a fort à craindre que la ville de Paris suive le même chemin.
UCI : Peut-on parler d’une hausse significative des dépenses publiques sous la présidence Macron ? Est-ce exclusivement lié à la crise du Covid-19 ?
BP : Lorsqu’Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir, en 2017, la dette représentait 98,3% du PIB. Aujourd’hui, c’est 112%. Donc durant son mandat, ce sont plus de 750 milliards d’euros de dette supplémentaire. La crise Covid est responsable de moins de la moitié de cette augmentation. Lorsque les comptes publics sont ainsi tenus, il est compliqué de parler d’une bonne gestion. Pire : le niveau du déficit public est préoccupant, notamment en 2023 puisque sur les 7 premiers mois de l’année, le déficit de l’État est déjà de 169 milliards d’euros. Lors des deux dernières grandes crises – crise financière de 2009 et crise sanitaire de 2021 – le déficit était « seulement » de 144 milliards d’euros dans le premier cas et de 161 milliards d’euros dans le second. La situation de nos finances est donc alarmante. Des économies massives doivent être concrétisées pour les assainir.
UCI : Concrètement, comment se répartit cette dépense publique, et notamment la part des prestations sociales ?
BP : Pour 1 000 euros de dépenses publiques, 570 € servent à payer des prestations sociales. Oui, notre politique sociale nous « coûte un pognon de dingue » comme dirait Emmanuel Macron. Mais qu’a-t-il fait pour améliorer son efficacité ? Pas grand-chose malheureusement. Le régalien pèse quant à lui 6 %. Lorsque l’Etat ne remplit plus son rôle, notamment en termes de sécurité, il ne faut pas s’étonner ensuite que le consentement à l’impôt soit fragilisé. Pour prendre une métaphore, la France est une grosse machine avec un tas de tuyaux percés de petits trous où l’argent public fuit. La mère des réformes est la diminution du nombre d’agents publics qui sont aujourd’hui 5,7 millions. Selon le conseiller maître honoraire à la Cour des comptes François Ecalle, en seulement 23 ans, la France a « gagné » plus d’un million de fonctionnaires supplémentaires. Pourtant, qui oserait dire que la France est aujourd’hui mieux administrée ?
“Oui, notre politique sociale nous « coûte un pognon de dingue » comme dirait Emmanuel Macron. Mais qu’a-t-il fait pour améliorer son efficacité ? Pas grand-chose malheureusement.”
UCI : L’inflation galopante que nous connaissons actuellement vient-elle influer sur l’endettement ?
BP : Plus il y a d’inflation, plus il y a de recettes fiscales, notamment grâce à la TVA. Ce ne sont pas les hauts fonctionnaires de Bercy qui vont s’en plaindre. Comment l’État peut-il amorcer le remboursement de notre dette alors que ses déficits sont colossaux et ne cessent de se creuser ? Tous les ans, ils alimentent mécaniquement notre dette qui a dépassé cette année les 3 000 milliards. L’État engrange encore plus d’impôts, mais n’en profite pas pour autant pour rembourser l’endettement de la France, outre la création de dépenses nouvelles et de court terme par le biais d’aides sociales ou de chèques comme l’indemnité inflation.
UCI : Faites-vous confiance au gouvernement pour réduire ou du moins maîtriser les dépenses publiques et, plus largement, que faut-il faire pour les réduire ?
BP : Les contribuables sont inquiets. Le poids des prélèvements obligatoires n’a jamais été aussi haut : 45,4 % du PIB en 2022. Même sous la présidence Hollande, le taux était plus bas (44,9 %). Déjà assommés d’impôts, de taxes et de cotisations, les contribuables craignent les pistes envisagées en 2024 : taxes sur les autoroutes, sur les billets d’avion ou encore la fin de la défiscalisation du gazole non routier qui pénalisera le secteur du BTP et les agriculteurs par exemple. Sur les 1 600 milliards de dépenses publiques, le gouvernement est passé de 20 milliards d’euros d’économies dans ses premières annonces à 16 milliards d’euros aujourd’hui ! Il faut faire preuve de plus de courage !
“Le poids des prélèvements obligatoires n’a jamais été aussi haut : 45,4 % du PIB en 2022.”
UCI : Le gouvernement semble rétropédaler quant à la suppression de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) qui était pourtant prévue. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
BP : La France connait des impôts de production qui s’élèvent à plus de 100 milliards d’euros, soit quatre fois plus qu’en Allemagne. Ces impôts, principalement payés par nos entreprises, pénalisent fortement leur compétitivité. La suppression de l’un d’entre eux, la CVAE, va dans le bon sens, mais son étalement sur 4 ans est un mauvais signal pour le monde économique. Le gouvernement s’était pourtant engagé à le supprimer définitivement dès 2024.
UCI : Quelles sont vos propositions chez Contribuables Associés ?
BP : Il faut baisser les dépenses publiques. Cela passe notamment par la définition du rôle de la sphère publique qui a tendance à s’occuper de tout mais pas de l’essentiel. Outres les activités régaliennes, il faut se demander s’il appartient à la sphère publique de se charger ou non de certains domaines. Si l’intervention publique se justifie, il faut vérifier que les dépenses soient sous contrôle. Si non, il faut confier l’activité à une entreprise privée avec un cahier des charges très strict. Gelons aussi les embauches de fonctionnaires, excepté pour les fonctions régaliennes. L’urgence est aussi de redonner du pouvoir d’achat aux Français : baissons les charges pesant sur les salaires ainsi que les taxes sur l’essence. Enfin, supprimons les droits de succession. Ils pénalisent la transmission du travail de tout une vie ! Ce sont des mesures à prendre d’urgence.