
Pascale Gruny est sénatrice LR de l’Aisne et Vice-Président de la commission des affaires sociales. Engagée pour l’égalité des sexes et inquiète de la chute du niveau de langue et d’orthographe des élèves français, elle soumettait au Sénat, dans la nuit du 30 octobre 2023, une loi visant à interdire l’usage de l’écriture inclusive. Avec 221 voix pour, le Sénat a adopté sa proposition. Dans cet entretien, elle nous explique tout l’enjeu de celle-ci.
Propos recueillis par Bartolomé Lenoir.
UCI : En quoi consiste la loi proposée par vous et votée au Sénat hier, 30 octobre ?
PG : Cette loi interdit l’écriture dite inclusive, celle du point médian et des formes grammaticales du déterminant comme le « iel » ou autres. Il s’agit d’aller plus loin que les circulaires en inscrivant dans la loi que cela est interdit dans toutes les productions administratives mais aussi dans les contrats de travail, les documents commerciaux et les notices d’information.
Les travaux en commission mené par le rapporteur Cédric Vial ont également permis d’étendre l’interdiction aux entreprises ayant des délégations de services publics ou recevant des subventions publiques, aux écoles ou aux universités. Grâce à la proposition de mon collègue Étienne Blanc, tout acte juridique en écriture inclusive est nul de plein droit.
UCI : Dans tous ces domaines et documents, est-ce qu’on constatait déjà une forte propension à l’écriture inclusive ?
PG : Pas encore dans les contrats de travail mais dans les universités c’est établi. Aussi à la mairie de Paris dans documents de travail ou sur des plaques commémoratives apposées sur les murs de l’Hôtel de Ville : on retrouve souvent l’écriture inclusive dans des instances classées bien à gauche.
Dans la sphère privée, les gens resteront naturellement libres de faire ce qu’ils veulent. Mais il faut agir dans la sphère publique car beaucoup de gens utilisent aujourd’hui cette écriture sans y réfléchir, en la rencontrant au quotidien et sans savoir ce qu’il y a derrière.
Ma proposition de loi date de janvier 2022 mais j’avais déjà écrit à Gérard Larcher il y a trois ans car je voyais le point médian apparaître dans certains amendements. La langue française est une langue vivante, qui s’enrichit de nouveaux mots chaque année : l’usage peut donc faire la norme et il est important de ne pas laisser l’écriture inclusive devenir ainsi la norme par usage.
UCI : Avez-vous eu beaucoup de réactions à la suite de votre proposition de loi ?
PG : Pas du tout d’attaques, ce qui m’a étonnée car je suis très sollicitée depuis une semaine par les médias. Je m’étais dit que j’allais être attaquée : on l’avait été sur les lois écologiques, sur la réforme des retraites, etc. Ici, je reçois beaucoup de messages de soutien, de divers profils, des auteurs, des écrivains, des enseignants, des parents.
UCI : L’écriture inclusive n’est-elle pas le phénomène de quelques élites face à une population réticente de manière massive ?
PG : Tout à fait, il s’agit d’abord et avant tout d’une démarche militante. Je ne comprendrais pas que le Président de la République, qui vient d’inaugurer son projet-phare de Cité internationale de la langue française, dans mon département de l’Aisne, à Villers-Cotterêts, ne s’oppose pas à cette écriture qui ne se parle pas et ne se comprend pas. Alors que les enfants rencontrent des difficultés d’apprentissage de la lecture, que le niveau scolaire baisse, on veut leur enseigner quelque chose d’incompréhensible ?
UCI : Alors qu’aujourd’hui, en 2023, les jeunes Français font deux fois plus de fautes qu’en 1987.
PG : C’est dramatique. Et on le voit aussi chez des personnes très diplômées. Certains courriers qui émanent des cabinets ministériels sont truffés de fautes.
« Si je voulais que les choses soient inscrites dans un texte de loi, c’est parce qu’il n’y a pas d’autorité absolue au sujet de la langue. »
UCI : Quand on dit « Madame la Ministre » ou « Madame la Première ministre », on ne se trouve pas dans le français le plus pur. Avez-vous une opinion à ce sujet ?
PG : Je n’y suis pas opposée. On ne revient pas sur la féminisation des noms. Même si moi j’utilise « Madame le Sénateur » sur tous mes documents, on ne revient pas dessus. Même oralement, quand les gens disent « Chères Françaises, chers Français », cela ne pose pas de problème. Cela relève d’une pratique orale et cela reste compréhensible et lisible.
UCI : Quel est aujourd’hui, en France, l’autorité de référence pour bien écrire ?
PG : La loi Toubon avait rappelé les principes de la défense de la langue française. L’Académie française est aussi partie prenante de ce bon usage. Mais, si je voulais que les choses soient inscrites dans un texte de loi, c’est parce qu’il n’y a pas d’autorité absolue au sujet de la langue.
UCI : Avez-vous une dernière chose à ajouter ?
PG : Depuis que je suis petite, on m’a appris que le masculin l’emportait sur le féminin. Mais on ne m’a jamais dit que les hommes devaient dominer les femmes. Jamais. Le combat égalitaire hommes-femmes est ailleurs, il n’est pas dans cette écriture qui, en réalité, exclut plus qu’elle n’inclut.
Pour conclure, je conseille à chacun d’aller visiter la Cité internationale de la langue française ! C’est un lieu très intéressant qui mobilise tous les nouveaux outils de médiation. C’est passionnant : j’ai déjà envie d’y retourner et d’y emmener mes petits-enfants.