Claire Fourcade est médecin, coordinatrice de l’équipe de soins palliatifs de la clinique « Les genêts » à Narbonne. Elle préside la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP).
Pouvez-vous décrypter les annonces du président de la République concernant l’aide à mourir ? Catherine Vautrin, ministre de la Santé, précise que ce n’est ni un suicide assisté ni une euthanasie. Selon vous, qu’est-ce alors ?
La réalité pratique pour les soignants est qu’il s’agit d’un projet de loi de “suicide assisté” avec ce qu’on pourrait appeler “exception d’euthanasie ».
En effet, il faut savoir que la définition du suicide assisté c’est le fait que la société mette à la disposition d’une personne les moyens de mettre fin à ses jours. Or, dans le premier article du projet de loi on retrouve les termes “administration d’une substance létale”. Ainsi, c’est bien un suicide assisté.
Quant à l’euthanasie, il s’agit de l’injection de cette substance par un tiers. Ce tiers, dans les pays ayant légalisé l’euthanasie, est toujours un médecin. De même, dans le projet de loi actuel, c’est exactement ce qui est prévu.
Quel sera le rôle du médecin dans le cadre du projet de loi ?
Selon le projet de loi, c’est au médecin que revient le devoir de définir si le patient remplit ou non les critères pour se voir délivrer l’autorisation médicale de recourir au suicide assisté. Ainsi, le médecin est chargé de définir si le patient est capable de discernement, si son consentement est bien libre et éclairé, si son pronostic vital est engagé à court ou moyen terme, etc.
Une fois la validation donnée, le médecin reste présent. En effet, c’est lui qui rédige l’ordonnance de traitement et qui suit le patient lorsqu’il prend le traitement afin d’éventuellement lui administrer une dose de secours si jamais la première ne fonctionne pas.
Toutefois, la procédure permet, qu’à partir du moment où le patient a eu la prescription, ce ne soit plus un médecin mais une infirmière qui le suive. Dans tous les cas, un soignant est donc bien présent d’un bout à l’autre de la procédure.
La décision de délivrer ou non la substance par prescription se fait-elle de manière collégiale ou par un médecin unique ?
Ce point est assez flou. Ce que je crois comprendre du projet de loi actuel, c’est que la demande est adressée à un médecin qui devra en discuter avec un médecin qui ne connaît pas le patient, puis avec un autre soignant.
Néanmoins, c’est au premier médecin que revient le choix de la décision et sa responsabilité, et cela, quelle que soit la position des personnes qu’il a pu consulter.
Savez-vous quelle tendance se dégage auprès des médecin à propos de ce projet de loi ?
L’avis est partagé. Il n’y a pas 100 % des médecins opposé. Dans les pays du monde ayant légalisé le suicide assisté, il n’y a pas plus de 2 % des médecins qui acceptent de pratiquer l’euthanasie. Au Canada, par exemple, 70 % des médecins étaient favorables à la légalisation d’une telle pratique. Aujourd’hui, on ne décompte plus que 1,9 % médecins qui acceptent de pratiquer l’euthanasie.
Qui plus est, les Anglais ont fait des sondages par spécialité. On s’aperçoit que la réponse d’un médecin varie selon la spécialité dans laquelle il travaille. Dans les spécialités éloignées des soins palliatifs et de la confrontation quotidienne à la mort, l’avis du soignant se rapproche de celui de la population générale. À l’inverse, pour les soignants en soins palliatifs, après enquête, moins de 8 % seraient favorables. Et lorsqu’on leur demande qui serait prêt à le faire, c’est 2 %, comme à l’étranger.
En tant que médecin, quel est votre avis personnel sur ce projet de loi ? Et dans l’hypothèse où le rôle le médecin n’avait pas de rôle à jouer, seriez-vous favorable à ce projet de loi ?
Ce que les soignants répètent depuis le début, c’est qu’en ce qui concerne les personnes qui vont mourir, la loi Claeys-Leonetti actuelle permet d’y répondre et de les accompagner. On n’a donc pas de difficultés particulières lorsque la loi est connue et appliquée.
La difficulté survient pour les personnes qui ne sont pas en fin de vie et qui veulent mourir. En effet, la loi Claeys-Leonetti avait choisi de ne pas répondre à cette demande-là. Et à raison, puisque ce n’est pas une demande médicale mais sociétale. Ce n’est pas aux médecins, ni au corps médical en général, de décider de qui doit vivre et de qui peut mourir.
À propos de votre seconde question maintenant, je répondrai qu’entendre la demande de mort, c’est notre métier. Lorsque l’on est face à des patients demandant à mourir, notre travail, dans le cadre de la loi existante, est de trouver des solutions avec eux. Ainsi, dans ma pratique quotidienne de la médecine, je tâche de trouver avec mon patient un chemin d’accompagnement, des limitations de traitement, d’arrêts de certains autres traitements, des mises en place de sédation parfois… En général, on a toujours réussi à trouver un chemin.
De fait, notre crainte dans cette demande de mort, en tant que soignants, est que la première question du “ Pourquoi cette demande ? Qu’est ce qui fait qu’aujourd’hui vous me demandez à mourir et non hier ? Que s’est-il passé ?”, soit remplacée par le “Quand voulez-vous mourir ? Comment ? Où ? ”
Notre travail aujourd’hui est d’écouter la demande de mort et de communiquer sur ce qui préoccupe le patient. Or, avec le projet de loi actuel, cette écoute pourrait être remplacée, voire disparaitre.
Êtes-vous satisfaite pour autant de la Loi Leonetti ? N’existe-il pas des cas où cette loi pourrait paraitre “insuffisante” ?
Pour les personnes en fin de vie, la loi nous permet de répondre, même quand c’est très difficile. La question est davantage complexe pour les patients plus éloignés de la mort. Pour ces cas, il s’agit de réfléchir sur la transgression. Est-ce que, à un moment isolé, dans une situation singulière avec un patient, le soignant peut se dire qu’il n’y a pas d’autres moyens d’accompagner que le suicide assisté ? Oui. Pour autant, est-ce que le cadre légal général doit changer ? Je ne pense pas. Comme l’a dit Badinter : “La loi, c’est le cas général. La justice, le cas singulier”. Je trouve cela très juste. Si un jour, en tant que soignante, je fais du singulier et j’en vient à transgresser la loi actuelle, je serai capable de dire pourquoi et de m’en expliquer.
Pour conclure, quel est votre point de vue sur ce projet de loi ?
Sur la première partie du projet de loi, nous avons du mal à comprendre clairement son objectif. Nous voyons que le Gouvernement veut changer les mots, alors que le terme « soins palliatifs » est reconnu internationalement, par toutes les institutions publiques et intègre déjà la notion d’accompagnement que veut promouvoir le Chef de l’État. Pourquoi ce changement ?
La vraie loi qui permettra d’améliorer l’offre de soins sera le PLFSS à l’automne. Ce sera sur ce texte que nous évaluerons la robustesse de l’engagement gouvernemental. Les dispositions d’ordre organisationnel peuvent assez largement être adoptés par voie infra-législative, ou alors dans le PLFSS. L’enjeu est surtout de faire appliquer la loi, plutôt que de la changer.
Sur la question de la mort provoquée, je dirais deux choses :
D’une part, côté soignants, ce projet de loi vient complètement à l’encontre de ce que nous essayons de porter avec les patients. J’entends par là, un accompagnement et une écoute la plus personnelle possible. En disant au patient que le soignant sera désormais celui qui donnera la mort, ce projet de loi change la relation de soin. Je le répète : on ne veut pas être ceux qui décident de qui doit vivre et de qui peut mourir. La relation qui réunit un patient et un soignant est une relation entre deux personnes, et non entre deux fonctions. Il faut toujours essayer de faire en sorte que cette relation ne soit pas une relation de pouvoir. Or, ce projet de loi casse complètement cet effort et revient à donner une toute puissance au médecin qui ne la veut pas.
D’autre part, si l’on s’interroge sur l’hypothèse de ne pas impliquer les médecins dans le projet de loi, je citerai Badinter qui disait deux choses. La première : l’État a-t-il le droit et le pouvoir de dire que “parce que vous voulez mourir, je vais vous tuer” ? Si oui, qu’est-ce que cela signifie qu’un État puisse avoir le pouvoir de décider de la vie et de la mort ? Une question de légitimité et de conséquence se pose donc. La deuxième chose est l’idée que la loi n’a pas seulement une fonction répressive, mais aussi une fonction expressive. En effet, la loi actuelle vient dire aux personnes malades, à leurs proches et aux soignants, que ces personnes comptent pour nous, et, que quoiqu’il en coûte, elles seront soulagées. Or, dès lors que ce message change, il y a un impact collectif important, à la fois sur le patient et ses proches mais aussi sur les soignants.
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